Farhat Ben Ayed : un délégué tunisien du Destour à Paris en 1920

La vérité sur les incidents de Tunis – 12/05/1920

Les récents incidents de Tunis dont on a fait un tableau profondément faussé sont de nature à égarer l’opinion française sur les véritables sentiments du peuple tunisien. A la veille de l’heureuse visite à Tunis du Président de la République, il importe de rétablir les fait, dans le commun intérêt et du protectorat et de la métropole. Seul membre actuellement présent à Paris de la délégation tunisienne, j’ai le devoir de protester énergiquement, comme je l’ai fait auprès des représentants du peuple français contre « le parallélisme » que l’on prétend reconnaître entre ce qu’on appelle les agitations communistes de Tunis et les revendications légitimes légalement poursuivies par le peuple tunisien.

Il suffit de lire les journaux tunisiens, Il suffit de connaître l’âme profonde de l’Islam pour savoir que nos revendications n’ont rien de révolutionnaire. Le Tunisien est constitutionnaliste, il a le sentiment de l’ordre; non seulement il n’apporte aucune aide aux passions révolutionnaires et n’en attend aucun secours, mais il a la légitime ambition de servir utilement l’ordre et la loi. Quel but poursuit-il ? Assurer l’affectueuse amitié de la Tunisie et de la France par le fonctionnement normal du régime constitutionnel en Tunisie. La France s’est engagée, en établissant son protectorat dans la Régence, à respecter et à sauvegarder l’intégrité de la nation tunisienne et, dans les limites de ses frontières, la souveraineté de son gouvernement. La France tiendra parole.

La Constitution de 1861, premier pas de la Tunisie vers la liberté politique, est-elle en harmonie avec l’état général de la civilisation et en particulier avec le degré de développement politique qu’a atteint la Tunisie, par un contact de quarante ans avec la France émancipatrice ? Le peuple tunisien ne le pense pas. Fidèle aux enseignements que ses membres ont reçu dans les écoles françaises, il estime que tout peuple civilisé a le droit, en consentant les impôts, d’en contrôler l’emploi. Sont-ce là des visées révolutionnaires ?

Pour accéder à ce stade de la civilisation, le peuple tunisien demande dans le respect assuré des intérêts de la France — qu’une assemblée élue puisse contrôler les actes d’une administration irresponsable en Tunisie ; à la France, dont la pression bienveillante mit fin en 1861 au pouvoir personnel absolu, de faire cesser en 1922 l’arbitraire de la bureaucratie absolue. Quoi de commun, entre ces aspirations libérales, inspirées de la plus pure tradition française et la Révolution ?

Les traités de 1881 ont créé une situation de fait en vertu de laquelle ni le Bey sans la République française, ni la République française sans le Bey ne peuvent modifier la Constitution tunisienne. Le peuple tunisien constitutionnaliste, dont le respect et le dévouement pour le Souverain régnant sont hors de contestation, a soumis ses vœux à S. A. Mohammed Ennaceur Bey. Et le 18 juin 1920, celui-ci parlant librement à ses sujets fidèles leur a donné son assentiment formel.

L’accueil que nos revendications ont reçu en France fut ce que nous l’attendions. Il s’est traduit récemment par le dépôt, sur le bureau de la Chambre, de la résolution suivante :

« Le gouvernement est invité à prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit sursis à rémission de l’emprunt tunisien jusqu’au jour où le gouvernement français, d’accord avec le bey de Tunis, souverain régnant, accordera au peuple tunisien une Charte Constitutionnelle basée sur le principe de la séparation des pouvoirs, avec une assemblée délibérante élue au suffrage universel à compétence budgétaire étendue et devant laquelle le gouvernement local (tunisien) sera responsable de sa gestion, sans crue cette responsabilité puisse excéder les limites des questions d’intérêt purement local. »

Cette résolution a été signée par un grand nombre de députés appartenant à tous les groupes, de gauche, du centre et de droite.

D’ailleurs, les garanties constitutionnelles demandées par le peuple tunisien ne sont nullement incompatibles avec la situation de la France en Tunisie, situation qui est et sera toujours pleinement sauvegardée par la présence a Tunis du résident général, ministre des Affaires étrangères près la personne de son Altesse le Bey, du général commandant la division d’occupation et de l’amiral commandant toutes les forces de mer.

Ce nouveau régime, dans lequel les droits et les devoirs de chacun seraient définis exactement, devrait comporter :

« Une Assemblée délibérative, composée de membres tunisiens et français élus au suffrage universel, et en nombre égal, maîtresse de son ordre du jour et à compétence budgétaire étendue. — Un gouvernement responsable devant cette assemblée, sans que cette responsabilité puisse excéder les limites des questions d’intérêt purement local. — La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. — L’organisation de municipalités élues au suffrage universel dans tous les centres de la Tunisie. — L’instruction obligatoire. —La liberté de presse, de réunion et d’association. »

Pendant la guerre, le sang tunisien s’est mêlé au sang français ; les tombes de nos morts sont mêlées sur le sol sacré dé la patrie. Aux heures difficiles qui ont suivi la guerre, la Tunisie est restée l’un des éléments essentiels de l’union séculaire de l’Islam et de la France. Injustement attaqués, à la veille du voyage en Tunisie du représentant de la France, nous répondons à notre corps défendant. J’ai conscience d’avoir évité, au delà même du possible, toute polémique en ce moment inopportune, et suis heureux de cette occasion d’affirmer à la Tribune retentissante de ce journal, une amitié du peuple tunisien pour la France et ma foi dans la justice.

FARHAT BEN AYED,

Délégué tunisien.

Lettre publié par Farhat Ben Ayed dans le Rappel du 12/05/1920.

Farhat Ben Ayed et son action dans le Destour.

Le Destour, également appelé Parti libéral constitutionnel, est un parti politique tunisien fondé en 1920 et dont le but est de libérer la Tunisie du protectorat français.

Farhat Ben Ayed est membre fondateur du Destour. Il fait partie de la délégation tunisienne qui a été envoyée à Paris en 1920.

Le 28 juillet, Thâalbi a la tête d’une première délégation est arrêté à Paris et envoyé devant le conseil de guerre à Tunis sous l’inculpation d’atteinte à la sûreté de l’État. Il est alors remplacé par Farhat Ben Ayed qui échappe à l’arrestation grâce à sa qualité de protégé anglais. Il entame alors des démarches auprès des hommes politiques français dans l’espoir de pouvoir organiser une deuxième délégation.

Garde des sceaux Farhat Ben Ayed sous Lamine Bey.

Le 25 décembre 1920, une deuxième délégation présidée par Tahar Ben Ammar arrive à Paris. Elle comprend un avocat israélite (Elie Zérah, adjoint), un avocat musulman (Hassouna Ayachi, secrétaire), un délégué à la Conférence consultative tunisienne (Abderrahman Lazzam) et un notable (Hamouda Mestiri). Dès le 27 décembre, grâce aux contacts noués par Farhat Ben Ayed, ils sont reçus par Lucien Saint, le nouveau résident général, qui a reculé son départ pour Tunis pour les recevoir et entendre leurs doléances.

Dès son retour à Tunis, Lucien Saint avait douché l’optimisme des destouriens en leur déclarant le 21 janvier qu’il y avait incompatibilité entre Constitution et protectorat. C’était donc une menace à peine voilée contre le jeune parti qui courait le risque d’être dissous et poursuivi pour atteinte aux traités. Pour contrer cette menace, Thâalbi et ses camarades ont l’idée de demander leur avis à des juristes français. Farhat Ben Ayed consulte alors Joseph Barthélemy et André Weiss, tous deux professeurs de droit public, en leur posant quatre questions :

  • Le peuple tunisien peut-il s’adresser par voie de pétition à son souverain ?
  • La Constitution écrite en 1861 a-t-elle toujours une existence juridique ?
  • Le rétablissement de cette Constitution, à supposer son existence, est-il compatible avec le régime du protectorat ?
  • Le régime constitutionnel est-il compatible avec le protectorat ?

Les réponses à cette consultation sont remises le 6 août 1921 à De Beaumarchais, sous-directeur d’Afrique-Levant, par le député Paul Painlevé, futur président du Conseil, accompagné par Farhat Ben Ayed :

  • Le peuple tunisien a le droit de formuler des pétitions, le bey est compétent pour les recevoir ;
  • La Constitution de 1861 n’a pas toujours été fidèlement observée mais cette Constitution n’a pas été abrogée bien qu’elle ait été violée ;
  • Une réforme constitutionnelle peut être introduite en Tunisie par l’accord du bey et du gouvernement français ;
  • Le régime constitutionnel est compatible par essence avec le régime du protectorat. La compatibilité d’une certaine liberté politique et administrative avec le régime du protectorat n’est pas douteuse du point de vue juridique. Quant au degré de cette liberté, c’est une question politique à régler par l’accord de l’État protecteur et du gouvernement protégé.

Cette consultation conforte les destouriens dans leur démarche et rassure les sympathisants qui craignaient de tomber dans l’illégalité. L’argument de l’incompatibilité entre Constitution et protectorat ne sera jamais plus utilisé par la résidence générale.

Les amitiés que Farhat Ben Ayed a nouées dans les milieux politiques parisiens lui permettent de faire revenir le problème tunisien à la Chambre des députés. Une loi du 31 juillet 1920 avait autorisé le gouvernement tunisien à émettre un emprunt de 225 millions de francs. Le 2 février 1922, profitant de l’amitié des députés Pierre Taittinger et Maurice Barrès, il réussit à faire déposer sur le bureau de la chambre une proposition de résolution portant la signature de 25 parlementaires (Henri Auriol, Barrès, Paul Escudier, Henri Fougère, Henry Paté, Jean Fabry, Taittinger, Charles Bertrand, Joseph Barthélemy, Marcel Gounouilhou, Édouard Soulier, Yves Picot, Paul Bénazet, Maurice de Rothschild, Paul Painlevé, Louis Antériou, Henri Fiori, Georges Noblemaire, Olivier Deguise, André Renard, Léon Girod, Albert Meunier, Joachim Murat, Charles Bernard et Paul Cassagnac et ainsi conçue:

« Le Gouvernement est invité à prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit sursis à l’émission de l’emprunt tunisien jusqu’au jour où le gouvernement français, d’accord avec le bey de Tunis, souverain régnant, accordera au peuple tunisien une charte constitutionnelle basée sur le principe de la séparation des pouvoirs, avec une assemblée délibérante élue au suffrage universel, à compétence budgétaire étendue et devant laquelle le gouvernement local (tunisien) sera responsable de sa gestion, sans que cette responsabilité puisse excéder les limites des questions d’intérêt purement local »

Les nationalistes destouriens attendaient avec impatience le vote de cette résolution conforme à leurs attentes. La crise au palais de La Marsa allait ruiner leurs espoirs.

Si Farhat Ben Ayed juste derrière Lamine Bey et SI Slaheddine Baccouche.

Début de l’affaiblissement du parti

Le décret du 13 juillet 1922 supprime l’ancienne Conférence consultative et la remplace par le Grand Conseil, conçu comme une émanation d’assemblées locales : les conseils de cheikhats, de caïdats et de régions. Le Destour tente de les combattre mais sans succès pendant que d’autres notables approuvent les réformes. Ainsi, Sadok Ennaifer — qui avait défié le résident général le 16 juin 1920 — assume dans le journal Es Zohra approuver « les réformes comme une étape nécessaire vers un régime libéral, et déclare qu’au point de vue religieux, il n’était pas licite à un musulman de les critiquer, Son Altesse le Bey étant trop avisé pour ne pas les avoir étudiées avant de les promulguer ». Sa nomination au poste de cadi de Tunis avait déjà récompensé son ralliement quand il fait cette déclaration.

Le parti est peu à peu vidé de ses forces vives. Une loi promulguée soumet les souscriptions publiques à une autorisation préalable, ce qui a pour effet de tarir les ressources du parti. Habilement, Lucien Saint utilise les promotions ou les menaces pour inciter ses membres à abandonner la politique. Ferhat Ben Ayed est dénigré et réduit à la misère au point d’accepter un poste de caïd et de quitter le parti, Hamouda Mestiri démissionne de sa fonction de trésorier le 18 août 1922. Découragé, Abdelaziz Thâalbi quitte la Tunisie fin août 1923.

Membre du Destour en 1923.

Extrait Le Rappel Mai 1920 Moncef Dellagi,  p159.  Roger Casemajor,  p64.

Par Kais Ben Ayed

Mosquée du Caïd Hmida Ben Ayed (جامع القايد حميدة بن عياد)

Le caïd et Général Hmida Ben Kassem Ben Ayed a édifié cette mosquée ou plus précisément cette école ou « Médersa » en 1785 à Cedghiane Djerba non loin de son palais. Cette grande mosquée se compose de neuf grande chambres qui accueillaient les élèves étrangers non résidents de l’île de Djerba.

Le cheikh Kassem Ben Ahmed Al Methni

Le Cheikh Kassem Ben Ahmed Ben Said Al Methni est née à Ajim Djerba en 1750 (1170 de l’Hégire) . Il partit étudier les sciences à la grande mosquée d’Al Azhar en Egypte. Après avoir terminé son cursus, il retourna à Djerba, pour dispenser ses cours à la mosquée Al Methni à Ajim. Après l’achèvement de la mosquée El Gayed en 1785, le caïd Hmida Ben Ayed le chargea de dispenser ses cours à la nouvelle mosquée. Après la mort du Cheikh Al Methni, le caïd fit appel au cheikh Ahmed Ben Romdhane El Ghoul imam de la Mosquée Gebliyin à Galala et dispensa ses cours à la mosquée El Gayed jusqu’à la mort du cheikh en 1814. Hmida Ben Ayed décèdera 3 années plus tard en 1817.

Découvrons cette magnifique mosquée en images.

Vue extérieure du Jemaa El Gayed
Porte d’entrée de la mosquée El Gayed
Plaque extérieure de la mosquée indiquant la date de construction.
Cour intérieure de la mosquée du Caïd Hmida Ben Ayed
Intérieure de la mosquée du Caïd Hmida Ben Ayed.
Mihrab de l’Imam de Jemaa El Gayed
Mihrab de l’Imam.
Plaque au dessus du Mihrab avec une sourate du noble Coran, la date de construction et le nom de son mandataire le Caïd Hmida Ben Ayed.
Vue du minaret de la mosquée El Gayed
Par Kais Ben Ayed

Hommage au professeur Farhat Ben Ayed

Farhat Ben Ayed père de l’oncologie en Tunisie et expert carcinologue reconnue dans le monde arabe. Le professeur Farhat Ben Ayed joue un rôle clé dans la construction des services de cancérologies en Tunisie avec un sens du devoir et un don remarquable dans la motivation des autres.

Son parcours.

Si Farhat Ben Ayed a appris deux choses de son enfance – il s’est assimilé de son île natale de Djerba l’art d’être entrepreneur et, de ses parents, le sentiment de donner sans rien attendre en retour. Il entreprit d’étudier la philosophie mais se convertira à la médecine sur les pas de son frère aîné Si Hassouna qui allait devenir le premier Néphrologue tunisien.

Il poursuivra des Etudes de médecine en France à la Faculté de Médecine de Montpellier de 1966 à 1972 obtiendra son diplôme de troisième cycle à Tunis et l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif,en France.

Il occupera le poste de Résident assistant à titre étranger de l’Institut Gustave Roussy de 1977 à 1981.

Le professeur Farhat Ben Ayed choisira de retourner dans son pays natal avec comme mission: aider, et poser les bases de l’oncologie médicale en Tunisie. Dès son retour à Tunis il occupera le poste de Chef de service Oncologie de l’Institut Salah Azaiez de 1982 à 2005.

Ses études en France découlent en réalité de la visite à Tunis d’une équipe de médecin Français au cours de laquelle il rencontra le professeur Jean Louis Amiel, oncologue de premier plan à l’Institut Gustave-Roussy, cette rencontre marquera le début d’une amitié qui durera jusqu’à la mort d’Amiel en 1985. Ce mélange de liens professionnels et d’amitié a permis d’impliquer des collègues d’instituts et d’hôpitaux partout en France – Marseille, Rouen, Lyon, Gustave Institut Roussy, St Cloud. Un simple coup de téléphone la part du professeur Ben Ayed suffisait à convaincre ses homologues de faire le voyage à Tunis. La multidisciplinarité de l’institut de cancer en Tunisie était due en grande partie à ce tissage de lien.

L’association tunisienne de lutte contre le cancer. (ATCC)

Après des années à développer des approches médicales pour le traitement du cancer, Ben Ayed en voyant les patients en détresse décida en 1987, avec des amis et des penseurs, de créer l’Association Tunisienne de Lutte contre le cancer (ATCC), et en 2000, l’Association pour la promotion de la douleur et des soins palliatifs.

Sous sa présidence l’ATCC est devenu une association humanitaire et scientifique avec un mandat de service public, qui promeut également l’enseignement et la prévention. 30% des cancers en Tunisie sont liés à l’environnement et 40% au tabac, en particulier les cancers des poumons, de la gorge et de la vessie. A partir de ce constat Si Farhat fit une campagne de lutte contre le tabac devenant la priorité absolue de l’association.

L’ATCC a contribué à l’achat du premier appareil de mammographie et s’est associé à une entreprise privée pour acheter un deuxième appareil destiné l’hôpital de Gabès.

Le succès de ce type d’opération conduit les autorités à entreprendre des actions concrètes en ouvrant des centres de traitements à Sousse, Sfax.

Parmi les exploits de l’ATCC, on peut citer encore la construction d’un foyer pour les patients en partenariat avec les autorités tunisiennes. Depuis son inauguration en 1993 le foyer a accueilli des milliers de patients démunis leur offrant un pied à terre lors de leur déplacement pour bénéficier des soins à Tunis.

Le Pr. Farhat Ben Ayed avec le président de la république tunisienne Mr. Béji Caid Essebssi.

Aujourd’hui Si Farhat Ben Ayed à l’ambition de réaliser un service de radiothérapie à l’hôpital militaire de Gabes et garantir ainsi les soins au profit des patients cancéreux du sud tunisien. Ce service permettra un accès plus rapide aux soins, donc une meilleure probabilité de guérison, mais également une réduction des difficultés matérielles et de transport pour les patients compte tenu de la proximité de Gabés par rapport au gouvernorats du sud tunisien. Le coût de l’appareil est estimé à 2 millions d’euros soit environ 6,5 millions de dinars.

Depuis trente-cinq ans maintenant le professeur Farhat Ben Ayed à la tête de l’ATCC continu sa lutte contre le mal du siècle, pour accompagner et soutenir les personnes atteintes du cancer en Tunisie en s’attelant à la prévention, l’information, la sensibilisation et la formation.

Par Kais Ben Ayed

L’ancienne minoterie Ben Ayed (1880)

Sous la direction de M. Valensi, ingénieur E. C . P, avait été construite, en 1880, la belle minoterie de Djedeïda, pour le compte de Ben Ayed.

Vue 1 du barrage et de l’ancienne Minoterie Ben Ayed.

Le matériel de la minoterie avait été fourni par la maison Brault et Cie, de Chartres en France. Une turbine hydraulique, actionnée par la Medjerda, faisait mouvoir tout l’outillage et servait à l’irrigation des jardins avoisinants. La mouture y était faite par des meules de La Ferté-sous-Jouarre dont l’emploi, autrefois si réputé.

Pont de la Djedeida et moulin Ben Ayed.

Quoique ayant à sa disposition la force motrice gratuite, le moulin Ben Ayed dut cesser de travailler devant l’impossibilité de lutter avec la concurrence extérieure.

Kais Ben Ayed

Le poème de la Borda – قصيدة البردة

Quassidet El Borda (poème du manteau) est unanimement reconnue comme étant la plus fameuse parmi toutes les autres louant le prophète, par l’ensemble des musulmans partout dans le monde. C’est une extraordinaire poème dédié à la glorification du prophète Mohammed صَلَّىٰ اللّٰهُ عَلَيْهِ وَسَلَّم . C’est un poème d’une incomparable richesse mais c’est également un hymne religieux d’une intense densité en émotions. Elle fût, du vivant même de son auteur, considérée comme sacrée, et occupe encore de nos jours une place privilégiée auprès de la communauté musulmane.

Quassidat El Burda a pour auteur l’Imam Sharaf ad-Din Abu Abdullah Muhammad Al Boussairi dont l’origine remonte à la tribu Berbère des Sanhadja du Maroc et d’Algérie .Il est également l’auteur de la Hamazia (un poème de 517 vers).
El Boussairi naquit le premier jour de Choual en 608 (Mars 1212) et mourut dans les années 694-697 de l’hégire (1294-1298). Copiste et grammairien, il était également le disciple du célèbre soufi Abou Al Abbàs Ahmed Al Masri . Il devint par la suite le plus connu des docteurs « traditionniste » de son époque.

Histoire de ce poème.

Malade, Al Boussairi devint paralysé. Il se consacra à l’écriture de ce poème de 25 pages en langue arabe, un poème d’éloge dédié au prophète Mohammed صَلَّىٰ اللّٰهُ عَلَيْهِ وَسَلَّم . Un soir, avant de conclure son œuvre, il reçu dans le rêve la visite du prophète Ce dernier s’approcha de lui et le couvrit de son manteau, El Burda, le manteau, d’où le nom du poème. Ce poème avait été réalisé dans la plus grande discrétion. Après ce rêve et après son réveil, son mal avait disparu.

Nous retrouvons un extrait de ce poème plus précisément trois vers sur l’un des plafonds du palais Ben Ayed de Djerba à Cedghiane achevée en 1775 (plus de détails dans notre précèdent article La merveille du Ksar Ben Ayed), mais également sur le sceaux de Ahmed Bey (1837-1855) .

Plafond Bit Si Younes, palais Ben Ayed à Djerba.
Signature du maître Chaabouni et date d’achèvement 1775.
Sceau de Ahmed Bey ( 1837-1855) .

Au centre on peut y lire : عبده احمد باشا بك – Son serviteur de Dieu Ahmed Pacha Bey 1252 (1836-1837)

Immédiatement autour du centre : احل امته في حرز ملته كالليث حل مع الاشبال في اجم – Il (le prophète Mohamed صَلَّىٰ اللّٰهُ عَلَيْهِ وَسَلَّم ) a honoré son peuple en lui donnant sa religion (L’islam) comme refuge. Ainsi fait le lion, entouré de ses lionceaux, il regagne son repère.

Extérieurement en haut: و لن تري من ولي له غير منتصر له ولا من عدو غير منقصم – Vous ne verrez jamais un de ses fidèles ne lui devant pas sa réussite; Vous ne verrez jamais un de ses ennemis ne lui devant pas son anéantissement.

En bas: و من تكن برسول الله نصرته ان تلقه الاسد في اجامها تجم – Celui qui demande l’assistance du prophète de Dieu ( صَلَّىٰ اللّٰهُ عَلَيْهِ وَسَلَّم ), ferait fuir les lions en foules vers leur repaires.

Dans son livre, Ahmed Ibn Abi Dhiaf, « Présent des hommes de notre temps » (Ithaf Ahl al-zaman bi Akhbar muluk Tunis wa ‘Ahd el-Aman (إتحاف أهل الزمان بأخبار ملوك تونس وعهد الأمان) ) tout un chapitre lui est consacré. On y lit que le Mushir Ahmed Pasha Bey lors de sa visite sur l’île de Djerba aurait passé une nuit dans le somptueux palais Ben Ayed.

Extrait de « Présent des hommes de notre temps » . de Ahmed Ibn Abi Dhiaf.

Peut-être que Ahmed Bey devant la beauté de ce plafond s’en est-il inspirée pour en faire son sceau ? Peut-être aussi que le maitre Chaabouni ou son mandataire le Général Hmida Ben Ayed l’ont vu dans d’autres palais et ils s’en sont inspirés ?

Par Kais Ben Ayed

La vallée industrielle d’El Battan

Au XIX e siècle est installé sur le pont de la Medjerda (El battan) une manufacture pour confectionner les uniformes de l’armée beylicale, les ouvriers était principalement Maltais et Italiens.
Cet ensemble de style ottoman a été construit en 1616. Il comprenait en même temps une caserne, des haras mais il abritait également en son enceinte l’un des nombreux palais de la famille Ben Ayed qui en était l’exploitant. Ben Ayed était le bâtisseur de cette vallée industrielle d’El Battan. Il avait fait appel à l’ingénieur français Charles Benoit pour la réalisation de cette manufacture qui était considérée de haute technologie pour l’époque.

Aujourd’hui elle abrite les Haras de la FNARC ( Fondation Nationale d’Amélioration de la Race Chevaline).

A toi ! petit historien du dimanche !

A tous les petits historiens du dimanche une petite remise l’heure de vos pendules s’impose !

Au 17 -ème siècle Kacem Ben Ayed fut le premier caid-Gouveneur de Djerba dès 1756, en tant que commerçant il contribua fortement à la promotion de la chechia Tunisienne au grand Levant et il était par ailleurs envoyé du Bey pour le paiement des redevances annuelles dût à Constantinople. (Voir la thèse de Saadaoui)
Ali Ben Ayed le frère de Kacem prit la relève après sa mort, également au service du Bey on l’appelait Hadher Bach il paya quatre millions de ses fonds propres pour éviter l’occupation de Tunis par les Algériens. Ceci mérite d’être rappeler. Plus d’infos par ici.

Le fils de Kacem, Hmida Ben Ayed général et caïd de l’Aradh a lui combattu pour la Tunisie à plusieurs reprises, et mit toutes ses richesses au service du Bey Hamouda Pacha, nous ne citerons que la bataille de Constantine comme exemple ! Regeb Ben Ayed, Grand Douanier de Tunis et Caid du Cap Bon, a quant à lui fortement contribué à la construction du boughaz de la goulette.

Mohamed Ben Ayed fils de Hmida Ben Ayed, lui aussi général, mais également ambassadeur et envoyé de Bey auprès du roi Louis Philippe en 1831 et 1846, grand armateur corsaire (2 eme flotte après le Bey) a lui aussi laisser son empreinte dans l’histoire de la Tunisie, nous ne citerons que les principaux fait comme sa contribution à l’abolition de l’esclavage avec Sir Thomas Reade.
Il était également de bon conseil, sous Hamouda Pacha il évita une guerre in extremis entre la régence de Tunis et le Royaume de Sardaigne. Mohamed Ben Ayed a également offert le premier bateau à vapeur au Bey qui avait été très honoré que quelqu’un de son entourage puissent lui faire un pareil présent.

Hamida Ben Ayed deuxième du nom, petit fils de Mohamed lui aussi général et caid a également suivi les pas de ses ancêtres lorsqu’en 1868 l’année Boubarek une année où la famine, une invasion de sauterelles avec le choléra avait fauché en Tunisie 30000 personnes ! Le général Ben Ayed avait mobilisé tous ses moyens que l’on compta par millions pour venir en aide au plus démunis. (Voir Peister, Histoire de la ville de Tunis)

Citons également Khayriya Ben Ayed conférencière dès 1900 et première femme musulmane en faveur de l’émancipation des femmes ! Ou encore Aly Ben Ayed, l’artiste, le comédien et metteur en scène d’exception qui marquera à jamais d’une pierre blanche l’édifice du théâtre tunisien. Sans oublier le professeur Hassouna Ben Ayed, le maitre incontesté de la néphrologie en Tunisie, qui a contribué à la première dialyse péritonéale de Tunisie en 1963, à l’introduction du premier rein artificiel en 1968 dans le monde arabe et l’Afrique, à l’envoi du premier greffé du rein tunisien en France en 1971 et est aussi l’un des principaux intervenants dans la première greffe de rein en Tunisie et au Maghreb le 4 juin 1986 avec les professeurs Saâdeddine Zmerli et Khaled Ayed. En 1967, il effectue la première biopsie rénale en Tunisie.

La liste est encore longue mais parlons maintenant du célèbre Mahmoud Ben Ayed, général et caïd, un homme d’affaire au service du Bey que l’on accuse de tous les maux de la Tunisie etc. Je ne vais pas dire que c’était un saint parmi les saints, il y a eu certes quelques irrégularités dans ses comptes, personne ne conteste cela, mais l’accuser d’avoir fuit avec le trésor public est une pure fiction qui pour ceux que ça arrange trouve en lui le coupable idéal !
Mahmoud était le plus riche en Tunisie, à cette époque avant même son entrée au service du Bey. La démarcation entre le public et le privé, l’économique et le politique n’était pas établie. Les seuls responsables de la banqueroute de la Tunisie sont Ahmed Bey et Mustapha Khasnadar qui ont eu les yeux plus gros que le ventre ! Pourquoi ne parles t’on jamais d’eux ? quant à Mahmoud devait il rester à attendre qu’on le pende et porter le chapeau, et payer de sa vie des erreurs qu’il n’a pas commises, être vulgairement assassiné commeYoussef Saheb Etabaa et tout le monde sait ce que ce personnage a fait pour la Tunisie bien avant lui !
Non Mahmoud a était plus malin, un homme averti en vaut deux, il est parti en France, il s’est réfugié en France pour sauver sa vie en emportant une partie de sa fortune, qu’il a fait fructifier par la suite grâce à son bon sens des affaires uniquement. (Voir cette étude de M. GHARBI ici)

Quant au généraux Kheireddine et Hassine pourquoi ne parles t’on pas de leur richesse ? Le général Hassine à lui aussi fuit en Italie pourquoi n’en parlez vous pas ? Le général Kheredinne était le gendre de Mustapha Khaznadar … n’avait il rien vu ? Pourquoi s’est il retrouvé à la cour du Sultan turque dans la même cour que Mahmoud Ben Ayed ? Ce sont des questions qui doivent être posées !
Ahmed Bey a demandé l’arbitrage de Napoléon, et l’arbitrage fut ! Une commission a établie après plusieurs mois d’enquêtes que certes il y avait quelques irrégularités dans certains comptes, mais surtout que tous les biens de Ben Ayed devaient lui être restitués ! Le procès à durer des décennies, bien après la mort de Mahmoud, et les héritiers eurent gain de causes et ont put récupérer certains de leur biens. C’est curieux non ? Pourquoi personne n’en parle? (Plus d’information sur cette affaire en cliquant ce lien. )

A toutes ces mauvaises langues, à ses pseudo-historiens du dimanche qui ne prennent même pas le temps de lire un bouquin ou de simplement vérifier l’information, à toutes celles et ceux qui gobent tous ce qu’on leur raconte, la vérité n’est pas celle qui vous arrange et celle que vous aimez à croire, mettait là en sourdine et faites tournez votre langue sept fois dans votre bouche avant d’en régurgiter des sottises. Enfin il n’y a pas que Mahmoud Ben Ayed dans cette grande famille, bien d’autre avant lui et bien d’autre après lui ont donnés sans compter à la Tunisie et continuerons à donner ! Ce qu’aucun d’entre vous n’a donné pour notre Tunisie et pour terminer, comme Bajbouj aimait souvent vous le rappeler :

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِن جَاءَكُمْ فَاسِقٌ بِنَبَإٍ فَتَبَيَّنُوا أَن تُصِيبُوا قَوْمًا بِجَهَالَةٍ فَتُصْبِحُوا عَلَىٰ مَا فَعَلْتُمْ نَادِمِينَ

Par Kais Ben Ayed

Le chebec Tunisien et la course maritime au XVIII siècle

Le chebec Tunisien

Le Chebec ou chebek, bateau favori des corsaires. C’était ce type bateau que les Ben Ayed notamment armait pour la guerre de course.

Apparut au XVe siècle il est adopté par les pirates algériens et tunisiens dans leurs raids contre les côtes et la flotte chrétienne en Méditerranée.

Initialement utilisé pour le commerce le chebec était propulsé par des voiles et des rames, la voile était utilisées pour la navigation, les rames servaient pour des manœuvres complexes.

A la fin du XVIIe siècle les corsaires d’Afrique du Nord modifièrent la structure du chebec, en supprime les rames et allonge la coque.

Le vaisseau devenait plus manœuvrable et avait un faible tirant d’eau. Les mats aux nombres de trois étaient équipés de voiles triangulaires et inclinés vers l’avant.

Grace à sa vitesse, combinée avec l’artillerie montée au XVII siècle, le chebec devient un bateau de guerre redoutable. Il était équipé habituellement d’environ 20 canons positionnés sur le pont. Au cours des siècles XVIe, XVIIe et XVIIIe , les pirates algériens et tunisiens ont effectué de fréquents raids contre les côtes européennes.

Il convient de rappeler ici que la conjoncture méditerranéenne était favorable au commerce mais aussi, en raison des guerres de la Révolution et de l’Empire en Europe, l’activité corsaire.  Le bey, Yousef Saheb Tabaa, les Ben Ayed, et d’autres dignitaires se lancèrent dans cette entreprise.

Chebek barbaresque.

 Les Ben Ayed

Originaire de Djerba, cette famille, une des plus importantes de la Tunisie de la seconde moitié du XVIII siècle.

Les premier à figurer dans les contrats de caravane est Ali Ben Ayed.

Entre 1763 et 1767, il fait enregistrer 24 contrats de nolis dans la chancellerie du consulat de France. Treize de de ces navires se rendent à Alexandrie dont plusieurs avec des chargements d’huile pris à Djerba. Cinq se rendent à Smyrne, deux à Tripoli et un à Alger.

En outre, trois vont chercher du bois à Tabarka. A partir de novembre 1767, Ali Ben Ayed est qualifié de grand Douanier de Tunis.

Hmida Ben Ayed, son neveu expédie cinq navires de Tunis à Djerba en 1786. Après avoir acquis la ferme des pêcheries en 1792, on le retrouve en 1794 affrétant deux navires pour transporter des pèlerins à Alexandrie. Les Ben Ayed figurent également parmi les plus important armateurs de bâtiments corsaires: 27 entre 1784 et 1788 et 73 entre 1798 et 1805.

L’envoi en 1802 d’un navire à Alexandrie et d’un autre à Malte, chargé de céréales sont les deux derniers témoignages de l’activité de Hmida Ben Ayed. Regeb Ben Ayed, un de ses frères à une activité similaire qui s’arrête toutefois en 1794.

Mohamed Ben Ayed est le dernier armateur corsaire du clan Ben Ayed. La flotte Ben Ayed figurait en deuxième position après celle du Bey de Tunis en terme de nombres de navire avant l’abolition de la course en 1815. Les prises leurs rapportaient gros en biens de toutes sortes et, bien sûr, aussi en esclaves et odalisques.

(source Panzac, Grandchamps)

Par Kais Ben Ayed

Conte tunisien oublié : le petit fumeur de kif

Par une belle matinée d’automne, un petit fumeur de kif, assis près de la fenêtre d’un café maure, savourait joyeusement la fumée lentement aspirée de sa longue pipe. Dans la rue vint alors passer un paysan qui criait : Hâou ezzebda !

Ce mot d’ezzebda résonna agréablement aux oreilles du petit fumeur qui, passant sa mignonne tête par la fenêtre ouverte, appela le paysan: Ya el houni ! (viens-ici).

Chargé de son lourd makbed (panier), le paysan, monta les marches qui aboutissaient au café et étala aux yeux de son petit client tous ses pots, les uns après les autres.

Après les avoir longuement et successivement considérés, maniés, flairés, Le petit fumeur finit par dire :
« Il me semble bien que ce beurre doit être bon; pèse-m ‘en une oukitine » (deux onces).

Le paysan, qui d’abord avait espéré une meilleure affaire, n’en servit pas moins la quantité demandée, et se retira en maugréant.

« Et maintenant, s’écria notre jeune héros, je prie Dieu de bénir ce beurre, afin qu’il me donne, quand je le mangerai, vigueur, force et vaillance ! »

Dans le capuchon de son burnous, il prit un pain dont il coupa un gros morceau, sur lequel soigneusement il étendit son beurre. « Voilà certes qui n’aura pas mauvais goût, dit-il; mais avant de le déguster, achevons notre pipe l »

Il posa sa tartine à côté de lui et, sans autre hâte, il se remit à fumer. Sa joie et sa belle humeur se manifestaient simplement par des bouffées plus rapides et plus serrées. Cependant, le parfum du beurre attirait les mouches qui, tentées, vinrent en foule se poser sur sa tartine.

« Et qui donc ici vous invite ?» disait le fumeur, en essayant de chasser les petites gourmandes. Mais les mouches tenaient bon, el le nombre en grossissait à vue
d’œil. Alors, exaspéré el perdant toute patience, le petit fumeur, déjà surexcité par le kif, saisit son mouchoir et, sans pitié, l’abattit sur l’essaim.

Le coup porté, il eut l’idée de compter les cadavres il ne trouva pas moins de sept mouches qui gisaient, étendues, les pates en l’air, sur la tartine.

« Allah ! Allah I s’écria-t-il, plein d’étonnement, il parait que je suis un homme valeureux: il faut que le bruit s’en répande ! »
Son enthousiasme de lui-même fut dés lors si grand qu’il ne craignit pas d’arborer une ceinture sur laquelle il avait fait broder en grosses Lettres :

« J ‘EN ABATS SEPT D’UN COUP ? »

Bientôt, la ville ne lui suffit pas pour clamer son courage; il voulut que l’univers entier connut sa valeur, et son cœur, à cet espoir, frétillait en sa poitrine comme la queue d’un agneau qu’on a caresse.

Il prit donc sa ceinture et se résolut à parcourir le monde. Les cafés maures, dédaignés de lui, n’étaient plus, en effet, un théâtre digne de ses exploits.

Avant d’abandonner sa maison, il ramassa tout ce qu’il avait de précieux, mit un morceau de fromage dans sa poche, sortit et s’en alla vers l’inconnu, à la grâce de Dieu.

Comme il était jeune et leste et très actif, le chemin ne l’effraya pas, et longtemps, longtemps, il marcha sans éprouver la moindre fatigue. Il arriva ainsi devant un palais entouré d’un vaste et splendide jardin, dans lequel il entra.

Un magnifique olivier le tenta par son ombrage; sans hésiter, il s’étendit au pied de l’arbre et, tranquillement, s’endormit. Des passants s’arrètèrent, admirant sa bonne grâce et, stupéfaits, contemplèrent les mots brodés sur sa ceinture. « Sept d’un coup ! disaient-ils; quel est donc ce foudre de guerre, et que vient-il faire par ici?»

Vite, ils allèrent conter leur découverte au Bey, qui justement demeurait dans le palais, ajoutant (que c’était sans doute un puissant seigneur en quête d’aventures glorieuses. Ils ne tarirent point en éloges sur la bonne mine du jeune homme, et demandèrent de se l’attacher par ses bienfaits, car il pouvait être d’un précieux appui si la guerre venait à éclater un jour.

Le Bey ne se fit point prier, et, par son ordre, une députation d’officiers se rendit auprès du petit fumeur de kif qui, tout étourdi du bonheur qui lui survenait, n’en répondit pas moins crânement qu’il était justement venu pour cela. Le Bey lui fit le meilleur accueil, le combla d’honneurs et lui donna logement au palais.

Mais la jalousie, Hélas I est la méchante sœur cadette de la fortune, et, bientôt envié de tous, le petit fumeur de kif se vit en butte à toutes les tracasseries mesquines, mais très timides d’ailleurs, car chacun se disait en lui-même : Je ne puis l’affronter seul : que deviendrais- je entre ses bras, à lui qui en tue sept d’un coup !
Ils s’adressèrent au roi, qu’une telle réputation de vaillance avait à la longue indisposé contre lui, et demandèrent leur congé.
Le Bey n’osa refuser et laissa partir tous ses vieux. et loyaux serviteurs.

Il eût préféré de beaucoup se débarrasser de leur rival, mais il n’osait le congédier, de peur d’exaspérer celui qui en tuait sept d’un coup, et qui n’hésiterait pas sans doute à le massacrer pour s’emparer de koursi (trône) el de sa couronne.
Mais le Bey n’en était moins un homme très fin et très madré; il s’avisa d’un expédient qui, selon lui, devait réussir et donner satisfaction à tous.

Il fit venir le petit fumeur de kif el lui annonça qu’il était décidé à lui donner sa fille en mariage, avec, en dot, la moitié de son royaume, à la condition qu’il se rendrait dans la forêt voisine, où deux géants redoutables vivaient de crimes et de rapines. Il importait de débarrasser enfin le pays de ces deux monstres, et c’était une œuvre digne de lui, de sa valeur et de sa réputation. Le Bey termina en annonçant à son champion qu’il mettait cent cavaliers à sa disposition pour l’aider à vaincre les deux géants.

Notre petit fumeur de kif, ébloui, pensa avec raison qu’on ne trouvait pas tous les jours une occasion pareille d’épouser une princesse aussi accomplie, et s’empressa d’accepter la proposition du Bey.
Mais il refusa les cent cavaliers, et déclara qu’il ne les acceptait que comme escorte. Sous aucun prétexte il ne voulait qu’on lui vint en aide, « car, ajout a-t-il, celui qui en tue sept d’un coup n’a besoin d’aucun secours pour venir à bout de deux seuls adversaires, fussent-ils des géants ».
Il se mit donc en route suivi de ses cavaliers, qu’il laissa sur la lisière de la forêt. Avec précaution il entra dans le bois, regardant attentivement autour de lui et rampant avec la souplesse silencieuse du serpent.

Au bout d’un instant, il aperçut les deux géants endormis sous un arbre; leurs ronflements sonores étaient tellement épouvantables que les branches des arbres elles-mêmes en tremblaient.
Notre petit fumeur avait son projet: il remplit tout d’abord ses poches de cailloux; puis, sans perdre de temps, avec l’agilité d’un singe, il escalada l’arbre· qui les abritait et vint se poster sur une branche au-dessus des dormeurs.
Alors, il commença à jeter quelques cailloux sur la poitrine d’un de ses ennemis, que ce choc troubla à peine et qui continua de plus belle à ronfler. A la fin cependant, agacé par les coups répétés, il s’éveilla en grognant et, poussant brusquement son compagnon:
« Pourquoi ma frappes-tu ainsi ? lui dit-il
« Moi ! fit l’autre, tu rêves : je ne t’ai pas touché ! »
De mauvaise humeur, cependant, ils se rendormirent.
Le petit fumeur de kif s’attaqua alors au second géant; un caillou bien lancé l’éveilla tout à fait.
<< Qu’as-tu donc, dit-il, à me frapper de la sorte?
« – Moi ! tu rêves : je ne t’ai pas touché ! »

A nouveau, ils se recouchèrent; mais un caillou plus gros ralluma leur fureur. Ils se ruèrent l’un contre l’autre. Le combat fut terrible; les arbres arrachés devinrent entre leurs mains des massues redoutables; à la fin, perdant leur sang, ils s’étendirent pour ne plus se relever.
Tranquillement alors, notre héros descendit. de son poste, enfonça par deux fois son sabre dans la poitrine de chacun des cadavres, et s’en revinL vers son escorte, anxieuse, attendant la fin du combat qu’elle devinait, mais auquel elle n’avait pu assister.
« C’est fini, dit le vainqueur: je leur ai donné le coup de grâce, Oh! ils ont résisté; mais que pouvaient-ils contre moi, qui en tue sept d’un coup !

« N’êtes-vous pas blessé?
« Moi! je n ai pas la moindre égratignure !
E:t, conduit en triomphe, il revint vers le Bey réclamer la récompense promise.

Mais le Bey tergiversa.
« Ce n’est pas suffisant objecta-t-il; tandis que tu es en train de débarrasser le pays de ces monstres, il te faut retourner dans une autre forêt, voisine encore, où une licorne monstrueuse a établi son repaire, répandant partout à l’entour la terreur et l’effroi. »
Sans répliquer, le petit fumeur de kif prit une corde el une hache et se dirigea en chantant ya ! li li ! ya ! li li ! vers son nouvel ennemi;
celui-ci, à son aspect, se précipita sur lui.
« Doucement, doucement, dit-il : trop vite ne vaut rien ! »

Immobile tant que l’animal ne pouvait l’atteindre, il se déroba tout à coup, très adroitement, à son approche, et se glissa derrière le tronc puissant d’un arbre à sa portée. Lancée à toute vitesse, la bête géante ne put se retenir ni obliquer,
et vint buter furieusement contre l’arbre, dans le tronc duquel sa corne s’enfonça profondément.
La licorne, là, fut rivée, prisonnière.
« Bon !, voici l’oiseau en cage», dit notre héros, sortant de sa cachette.
Il lui passa sa corde au cou; avec sa hahe, et sans efforts, il sépara du corps la corne, qui resta comme vissée dans le tronc de l’arbre; puis, il amena le monstre devant le prince.

Mais, toujours désireux de se soustraire à sa promesse imprudente, le Bey lui dit:
« Il Le reste encore une tâche aussi redoutable à accomplir, mais celle-ci sera la dernière, et je te donne ma parole royale que si tu en viens à bout aussi heureusement que, des deux premières, je ne te demanderai rien de plus, et ma fille sera a toi avec la moitié de mon royaume. »
Il s’agissait cette fois de s’emparer d’un lion qui depuis longtemps faisait de terribles ravages dans là contrée et soumettait le pays à des dîmes incessantes.

Le petit fumeur de kif, comprenant que le bonheur qui l’attendait était digne de tous les exploits, se dirigea sans répliquer vers la caverne du redoutable fauve.
A sa vue, le lion rugit de colère et se rua sur lui avec l’intention évidente de n’en faite qu’une bouchée. Mais il avait compté sans l’ingéniosité du petit homme qui voyant une zaouia ouverte, s’y précipita, la traversa d’un bond et en ressortit par la fenêtre, qu’il ferma; puis, soigneusement encore, il vint fermer la porte, car le lion,
certain de son aubaine, n’avait pas hésité à le suivre, et se trouva prisonnier comme par enchantement.

Cette fois, ne sachant plus que dire, lié d’ailleurs par sa parole royale, le Bey dut s’exécuter. 1l accorda donc la main de sa fille avec la moitié de son royaume.
Les noces furent célébrées en grand apparat, et c’est ainsi que, par la seule volonté et la souveraine bonté d’Allah, il fut fait un grand roi d’un petit fumeur de kif qui, au début de sa carrière, avait tué sept mouches d’un coup.

Conte tunisien traduit par Mustapha Kourda, 1894.