Une récompense hors du commun pour un Palais hors norme.

Quand le fameux Mahmoud Ben Ayed décida de se fixer à Constantinople, il fit construire son palais à Tchamlidja, qui en dehors de sa situation merveilleuse, offrait l’avantage d’un climat très sain, en même temps qu’on y trouvait la meilleure eau, tout comme ce le choix de son grand-père Hmida Ben Ayed de s’être fixer à Djerba, plus précisément Cedghiane qui offre les même qualités. Voici une anecdote sur l’histoire de la construction de ce palais avec une belle surprise en prime pour l’architecte qui l’a conçu.

Jour d’allégresse

Le jour où l’on posa la première pierre de sa résidence fut un jour de fête et d’allégresse, La cérémonie s’accomplit en grande pompe et selon les usages musulmans.
Entouré de plusieurs autres de ses collègues et des derviches des monastères
voisins, l’imam de la Sublime .Porte commença par réciter des prières dans lesquelles il invoquait la bénédiction du Tout-Puissant pour la conservation des jours précieux du su!tan, du pacha, de sa famille et de tous les assistants qui à la fin prononcèrent la fatiha.

On immola sur la pierre trois moutons blancs et trois noirs, dont les têtes et les foies furent réservés aux imans et es viandes distribuées aux pauvres, les peaux revenant de droit à ceux qui les immolèrent. Le pacha donna des cadeaux aux imans et aux derviches, aux ouvriers et aux pauvres; une montre en or enrichie de brillants était réservée à l’architecte.
On avait dressé pour la circonstance à proximité, une luxueuse et très vaste tente arabe, où des sorbets, les friandises, du café et des cigarettes avaient été réparés pour être offerts aux assistants par la nombreuse domesticité du pacha. En outre, deux domestiques arabes enturbannés et portant des caftans en poil de chameau brodés d’or avaient posé sur le sol, entre leurs jambes, deux grands paniers en osier contenant des cornets de dragées et d’akidés (bonbons au citron et à la cannelle). Ils distribuèrent ces cornets à la marmaille du voisinage, qui d’habitude vagabondait en culottes fripées et trouées, mais qui, ce Jour-là. avait mis ses habits de fête et se tenait, respectueuse et rangée, impatiente de goûter aux douceur que lui offrait le nabab africain.
Pendant toute la durée des travaux, le pacha arrivait en somptueux équipage pour en surveiller la marche. Il passait une bonne partie de la journée sous une tente, où on lui servait, dans une vaisselle resplendissante, un déjeuner frugal, mais succulent, déjeuner auquel il ne manquait jamais de convier son architecte. Il se montrait d’ailleurs plein d’égards pour celui-ci.

Le présent hors du commun


Une fois la résidence ainsi que toutes ses vastes dépendances terminées, meublées, aménagées et occupées, le pacha exprima à cet architecte toute sa satisfaction pour la parfaite et rapide construction de sa demeure et il régla sans
marchandage les honoraires, qui étaient naturellement élevés. Puis il le convia à venir le voir le lendemain matin, pour recevoir le cadeau que, selon la coutume orientale, il se proposait de lui offrir, en témoignage de son contentement et du grand plaisir qu’il éprouvait à occuper sa nouvelle, demeure si parfaitement à son goût.
L’architecte passa une nuit d’insomnie. Il se demandait ce que pourrait être le présent si solennellement annoncé par le généreux Tunisien. Pour qu’on puisse se rendre compte de l’importance de ce genre de cadeaux à l’époque, li nous suffira de rappeler que l’architecte du sultan Aziz déjà nommé reçut de celui-ci 50.000 livres turques (1.300.000 francs), lorsque fut terminé le palais de Tchéragan, sur le Bosphore.
Le lendemain, exact comme on pense, au rendez-vous, l’architecte trouva le pacha installé sur son divan et buvant son petit café dans une tasse turque qui était supportée par un zarf (récipient conique qui supporte la tasse) en or, enrichi de diamants.
Après les politesses, le café et la cigarette d’usage, le nabab se leva et invita son hôte à l’accompagner. Il se dirigea vers le parc, où se trouvaient les écuries devant la porte desquelles il passa sans s’arrêter, puis continua sa marche, toujours sans rêve, vers la vacherie, vers l’écurie spéciale des ânes d’Egypte destinés à promener dans le parc les odalisques et les enfants. Il ne fit également que s’approcher, toujours en marchant, des étables de brebis, de béliers et de moutons. Enfin, il fit halte devant le poulailler.

– Ouvre cette porte, commanda-t-il à son domestique favori qui le suivait toujours, prends-moi cette poule noire boiteuse qui pond chaque jour son œuf, et donne-la à mon calfa (architecte) !
La surprise et le désappointement de ce dernier n’échappèrent pas à Ben Ayed, qui alors ajouta:

– Attrape~moi aussi ce coq batailleur et criard, qui par ,on chant matinal est le premier à annoncer la pointe du jour et qu’on le joigne à la poule !
Puis, se tournant vers l’architecte:

– Es-tu content maintenant ? lui dit-il.
Pour toute réponse, le malheureux balbutia que, le lendemain, il ferait prendre ces deux gallinacés.

Non, effendi (monsieur), coupa l’Altesse africaine avec hauteur, lorsque je fais azat (rendre la liberté à un être vivant), cet être doit immédiatement quitter l’enceinte de mon palais.

Voilà comment le fastueux pacha, qui jetait ses millions aux quatre vents avait cru devoir récompenser le zèle et la probité de l’homme qui lui avait recommandé le sultan Aziz.