Quand Alexandre Dumas raconte l’Histoire de Ben Ayed, du Bey et de Tunis.

Un article racontant une partie de l’Histoire de la famille Ben Ayed.

Alexander Dumas père par Nadar - Google Art Project.jpg
Alexandre DUMAS (Le père)

Romancier et dramaturge français, Alexandre Dumas père (à ne pas confondre avec Alexandre Dumas fils) a écrit un nombre vertigineux de livres. Il est notamment l’auteur des non moins connus,   Le Comte de Monte-Cristo (1844-1846), La Reine Margot (1845) ou la célèbre trilogie Les Trois mousquetaires (1844).

“Le véloce, ou Tanger, Alger et Tunis”

Dumas a notamment écrit un autre roman un peu moins connu qu’est le ” Le véloce, ou Tanger, Alger et Tunis” qui a été publié en 1848. Ce récit est celui de la deuxième partie du voyage qu’Alexandre Dumas fit en 1846 depuis Paris jusqu’en Afrique du Nord, en passant par Séville et Cadix.

Le 20 novembre 1846, Dumas s’embarque à Cadix à bord de la corvette Le Véloce, un vapeur de la marine militaire qui lui avait été promis par le ministère de l’Instruction publique. Il est accompagné de son fils Alexandre et de plusieurs de ses amis, Auguste Maquet, Giraud, Desbarolles, et Louis Boulanger.

Les voyageurs se rendent d’abord sur la côte méditerranéenne du Maroc: Tétouan, Mellila, Djemar’Azouat. Vient ensuite la Tunisie: Tunis, Carthage où se trouve le tombeau de Saint-Louis, ce qui donne à l’auteur l’occasion de nous conter l’histoire de ses croisades. Le voyage se termine par l’Algérie: Bône, Stora, Philippeville, El Arrouch, Constantine, Smindoux, Blidah et enfin Alger. Dans cette dernière ville, l’auteur et ses compagnons laissent Le Véloce et s’embarquent sur la frégate L’Orénoque. Ils partent pour Toulon le 3 janvier 1847.

Outre les péripéties du voyage lui-même, l’auteur nous livre quantité d’anecdotes locales et de récits historiques, dont l’histoire de la récente conquête d’Alger par les Français et l’histoire des chasseurs de lions en Algérie. Il nous donne également un aperçu du regard «anthropologique» porté par les Français de l’époque sur les populations d’Afrique.

Parmi les personnages qu’il cite dans ces nombreuses anecdotes, Dumas fait référence dans son livre au Général, Ambassadeur et Caïd de Djerba et de l’Aradh: Mohamed BEN AYED, nous allons vous en exposer trois de ces histoires. Découvrons sans plus tarder le portrait qu’en fait Dumas dans son livre.

Quelques extrait du “Le véloce, ou Tanger, Alger et Tunis” / par Alexandre Dumas 1848.

L’aumône atténue la colère d’Allah.

Sidi-Ben-Ayad, envoyé extraordinaire du bey de Tunis à Paris en 1831, a fait remettre 10,000 fr. à M. le curé de la Madeleine, en le priant de distribuer cette somme aux nécessiteux en son nom, comme un témoignage de la joie qu’il a éprouvée en apprenant que le roi des Français avait échappé, par la protection de Dieu.

Voici la première des anecdotes que nous rapporte Dumas dans son récit.

“On ne compte pas avec Dieu”

Général Mohamed BEN AYED.

“Les revenus du bey de Tunis sont à peu près de vingt millions de francs .

– Nous avons dit du bey régnant que c’ était un excellent homme et un cœur généreux : lors de l’inondation de la Loire , il donna 50 , 0 0 0 fr . pour les inondés .

Ben Ayed , son chargé d’ affaires chez nous , son fermier général là-bas , se trouvait à Paris lors de la tentative d’ assassinat de Lecomte sur le roi de France. Ben Ayed, aussitôt qu’il apprit que, par une faveur spéciale de la Providence, le roi avait échappé à ce septième ou huitième assassinat Ben Ayed envoya 10,000 fr. aux pauvres.
– C’est beaucoup, lui dit quelqu’un.
– On ne compte pas avec Dieu , répondit Ben Ayed .”

Qui creuse une fosse y tombera.

Dans cette deuxième anecdote, Dumas nous parle de Chakir Saheb ettabaâ ou El Chakir ( أبو محمد شاكير صاحب الطابع), né vers 1790 et décédé le 11 septembre 1837 au Bardo, C’était un homme politique tunisien d’origine circassienne. Poussé au devant de la scène par à Sidi Ben Ayed, il fut ingrat envers ce dernier, et lui créa de nombreux problèmes nous citerons par exemple, que lors de la visite de Chakir Saheb Ettabaa à Djerba chez Soliman Ben Ayed (fils de Mohamed) alors caïd de Djerba à l’époque, le Saheb Etabbaa jaloux de sa fortune le condamna à une amende de 2 millions de piastres, mais le Bey ne tarda pas à découvrir ce que lui manigançait son ministre avec la Sublime Porte et il eu une malheureuse fin.

Découvrons ce qu’Alexandre Dumas raconte à ce propos dans son roman.

“Le dernier coupable qui subit la peine du lacet, peine qu’ il ne faut pas confondre avec la pendaison , le lacet étant réservé aux grands seigneurs et la pendaison aux coupables vulgaires , le dernier , disons-nous , qui subit la peine du lacet fut un géorgien nommé El Chakir . Cette exécution eut lieu vers 1836 ou 1837.
Qu’ on nous permette de donner quelques détails sur cette exécution. Nos lecteurs , nous en sommes certain , ne regretteront pas le temps qu’ ils consacreront à cette lecture .
El Chakir était un esclave géorgien qui avait été remarqué, pour son intelligence des chiffres, par Ben Ayed , fermier général du bey Hussein , oncle du bey régnant aujourd’hui .
Ben Ayed avait accordé une attention d’autant plus grande aux dispositions arithmétiques d’El Chakir , que les finances de l’ État avaient été mises dans le plus grand désordre par le Bach mamelouk , chargé de ce département.
El Chakir fut donc mis en avant par Ben Ayed et par plusieurs seigneurs tunisiens que Ben Ayed avait intéressés à la fortune de son protégé .
Les coffres de l’ État étaient vides , avons-nous dit, et le crédit du bey dans un état déplorable ; on parlait tout bas de faire banqueroute : ce n’ était rien vis-à-vis des juifs et des indigènes du pays, mais c’était grave vis-à-vis du commerce français, auquel il était dû deux millions.
Faire banqueroute à des Nazaréens, à des giaours, c’était chose humiliante pour de fidèles sectateurs du prophète.
Cette pensée alourdissait la tête du bey au moment où Ben Ayed entra chez lui.
– Votre Altesse paraît préoccupée ? demanda Ben Ayed après les premiers compliments d’ usage.
Le bey lui expliqua les motifs de sa préoccupation et la honte où le tenaient ces deux millions dus à des infidèles .
– N’ est ce que cela ? dit Ben Ayed. Un bey de Tunis doit pouvoir allumer sa pipe quand il lui plaît avec un billet de deux millions.
Hussein répondit que s’ il avait un billet de deux millions il ne s’ en servirait point pour allumer sa pipe , mais bien pour s’ acquitter envers le commerce européen.
– Ne faut-il que deux millions à Votre Altesse pour mettre sa conscience en repos ? demanda Ben Ayed; vous les aurez demain .
– Et qui me les donnera ?
– Moi .
– Toi ?
– Oui, moi , et voici comment. Je vais envoyer 5 0 0 , 0 0 0 francs , heureux d’offrir cette bagatelle à mon souverain. Vous ferez prévenir trois autres de vos grands la permission que vous m’ avez donnée de mettre une portion de ma fortune à votre disposition, et ceux que vous préviendrez s’empresseront , j’en suis sûr, de suivre mon exemple.
Le bey remercia Ben Ayed en ouvrant de grands yeux ; il ne comprenait pas très-bien .
Comme il est permis à nos lecteurs de n’être pas plus habiles en cette circonstance que le bey Hussein , nous allons en deux mots lui expliquer la politique du Rothschild turc.
Ben Ayed était immensément riche , riche de biens patrimoniaux , riche des courses que faisaient les corsaires avant l’abolition de la piraterie.
Les cinq cent mille francs qu’il offrait ne faisaient pas la dixième partie de sa fortune.
Mais les cinq cent autres mille francs qu’ il forçait trois familles de verser à son exemple dans les coffres de l’ État, ou ruinaient ces familles rivales, ou tout au moins écornaient vigoureusement leur fortune.
Or un rival ruiné est un rival qui n’ est plus à craindre. Si, d’ un autre côté, ces familles refusaient de l’imiter et s’abstenaient de verser la même somme que lui, elles étaient bien autrement ruinées encore, car elles étaient ruinées dans l’ esprit du beys.
Le lendemain, à midi, Hussein avait les deux millions . A une heure, le commerce européen était remboursés, et le bey pouvait passer la tête haute devant ces damnés giaours.
Il n’y avait pas moyen de refuser à un homme qui venait de rendre un pareil service à son seigneur, la première grâce qu’ il lui demanderait.
La première grâce que demanda Ben Ayed au bey Hussein fut que son protégé, El Chakir, remplaçât le Bach-mamelouk .
Cette grâce fut accordée.
En effet, à peine au pouvoir, El Chakir donna sur presque tous les points des preuves d’ une intelligence extraordinaire.
Il rétablit les finances, il organisa une armée régulière, la première qu’ eût vue s’établir la régence de Tunis.
Nous disons que sur presque tous les points il fit preuve d’ intelligence.
Sur un seul point il en manqua .
Au lieu de se souvenir, dans la prospérité, de l’homme auquel il devait sa fortune, il fut ingrat ni plus ni moins que l’eût été un chrétien.
Il en résulta que l’on s’aperçut que El Chakir conspirait avec la Sublime Porte, chose dont on ne se fût peut-être pas aperçu sans son ingratitude.
C’était juste au moment où le sultan menaçait son vassal Hussein d’une expédition contre Tunis .
El Chakir s’apercevait depuis quelques jours d’un refroidissement dans les manières de son gracieux maître; aussi se gardait-il bien d’aller au Bardo, et se tenait-il prudemment chez lui, où il était bien sûr qu’on ne viendrait pas le chercher .
Tout à coup la flotte française parut dans les eaux de Tunis. Cette flotte, commandée par l’amiral Lalande, venait donner au bey Hussein, notre allié, l’appui de son pavillon .
Une lettre de Hussein prévint El Chakir que le lendemain l’amiral français serait reçu à midi au Bardo, et l’invita à assister à la réception.
Il était difficile d’échapper à une pareille solennité . El Chakir s’informa près de l’amiral si le rendez-vous était bien réel . La lettre du bey ne disait que l’exacte vérité .
A midi, en effet, El Chakir entrait par une porte et l’amiral Lalande par l’autre.
On fit passer l’amiral Lalande dans une chambre, où on le pria d’attendre.
Au bout d’une heure d’attente , l’amiral Lalande crut que le bey l’avait oublié , et lui fit rafraîchir la mémoire par un bawab (portier) .
Hussein était un homme bien élevé ; il comprit qu’on ne faisait pas attendre ainsi un amiral français sans lui donner une raison.
L’ amiral Lalande vit donc entrer son collègue, Hassouna Mourali, amiral de la flotte tunisienne, lequel, avec une politesse parfaite, l’invita, au nom de son maître, à prendre patience, son maître terminant en ce moment même une petite affaire de famille.
Voyons ce que c’était que cette petite affaire de famille que terminait le bey Hussein .
A peine introduit au Bardo, El Chakir avait vu les portes du palais se refermer derrière lui.
Dès ce moment il avait compris que tout était fini pour lui.
Néanmoins, comme c’était un homme d’un grand courage, aucune altération ne parut sur ses traits.
Il fut introduit dans la chambre du conseil. Tout le diwan y était assemblé.
Il s’avança vers le bey Hussein pour lui adresser le salut d’usage ; mais celui-ci lui fit signe de la main de demeurer où il était. Alors le bey Hussein l’accusa hautement d’avoir conspiré contre lui avec la Sublime Porte, et demanda à tous ceux qui l’entouraient quelle peine méritait un homme coupable d’une pareille ingratitude.
Il va sans dire que tous opinèrent pour la mort.
– Qu’ il en soit donc ainsi, dit le bey.
El Chakir n’essaya pas même de se défendre : il savait d’avance qu’ il était condamné . L’ordre de procéder à l’ exécution fut donné à l’instant même.
El Chakir se déclara prêt à mourir, mais demanda que trois grâces lui fussent accordées.
La première, de faire sa prière, afin de se réconcilier avec le Seigneur, si le Seigneur avait détourné sa face de lui.
La seconde, de pisser avant l’exécution, afin que sa mort fût exempte d’ un incident ridicule qui se présente d’ordinaire dans la strangulation.
La troisième, de savonner lui-même le cordon avec lequel il devait être étranglé, afin que, le cordon glissant convenablement, la strangulation fût plus prompte.
Ces trois grâces lui furent accordées.
Sa prière fut faite avec une durée convenable.
Il sortit entre quatre gardes, et rentra après avoir accompli ce qu’il était allé faire dehors.
Enfin, le cordon qui devait l’étrangler lui ayant été remis , il le savonna avec un soin tout particulier.
– Ne touche pas à la hache, avait dit Charles Ier, s’ interrompant de son discours pour faire cette observation importante au bourreau.
Cinq minutes après, le cordon mis en état par lui-même, El Chakir était étranglé.
C’était cette petite affaire de famille que terminait le bey Hussein. Affaire de famille, en effet , puisque El Chakir était son gendre. El Chakir étranglé, monsieur de Lalande fut introduit.
Avant de mourir, El Chakir avait donné un exemple d’ordre bien remarquable.
Il avait ôté de son doigt un diamant de cent cinquante grains. Il avait détaché de son cou et de sa poitrine les décorations en diamants qui y étaient suspendues ou attachées.
Il avait fait glisser de son épaule au-delà de sa main, un brassard renfermant une douzaine de diamants non montés, de la force de celui qu’il portait au doigt.
Et il avait remis le tout au trésorier du bey.
Il sortit donc du pouvoir comme il y était entré, pauvre et nu.”

La mort de Sidi Felfoul.

il semble bien que les Ben Ayed aient voué à Sidi Felfoul un attachement particulier au point qu’ils en inclurent le mausolée à l’intérieur de leur propriété. Mohamed Ben Ayed y aurait sa sépulture, obéissant à une coutume chère à certains notables tunisiens qui se faisaient inhumer dans les lieux-mêmes où ils
avaient vécu, coutume qui se retrouve à Djerba d’où le Général est originaire. Torbet Sidi Felfoul avec sa petite coupole d’apparence très modeste et levée sur un tertre, à la limite Sud du Palais Ben Ayed de Bab Jdid,

Mausolée de Sidi Felfoul.

Dumas raconte brièvement dans son ouvrage comment ce saint fut enterré dans au sein même du Palais Ben Ayed.

“Le dernier marabout qui est mort à Tunis y était fort vénéré. Il parcourait d’habitude les rues de la ville monté sur un âne très-petit et qui portait des grelots, il fut enterré, le marabout bien entendu, dans la mosquée que Ben Ayed, le fermier général du bey, le même qui donna 1 0 , 0 0 0 francs pour les pauvres quand Lecomte échoua dans sa tentative d’assassinat contre le roi Louis-philippe, a fait bâtir sur le modèle de la Madeleine.
Le bey et tous les grands personnages de la ville suivirent son convoi ; sa maison fut vendue 5 0 , 0 0 0 piastres , son âne 6 , 0 0 0 , et son bâton 5 0 0

Le_véloce_ou_Tanger_Alger_…Dumas_Alexandre_page-374-MOHAMMED-BEN-HAYAT

Par Kais BEN AYED