Nous présentons ci-dessous, quelques unes des nombreuses lettres écrites ou citant diverses personnes du clan Ben Ayed, dont les Caïds Hmida, Mohamed, Hmida Ben Abderahmen, et Mahmoud Ben Ayed, sans oublier une lettre de la princesse Lesley Ben Ayed épouse du prince Abdullah Ben Ayed.
Lettre destinée à Si Hmida Ben Ayed, général et Caïd de l’Aradh.
الحمد لله و صلى الله على س يدنا محمد و سلم. حفظكم الله تعالى بمنه و تولاکم بلطفه، المکرم الأجل المحترم بالله ز و جل المرز س يد حميدة بن عياد اکرمه الله وافيا. السلام عليكم و رحمة الله و برکاته وبعد. تعلم س يد رعاك الله، قدم الى طرفنا تابع الس يادة س يد سليمان العلام،و تحاسبنا بعد على دراهم ال يت الذ على أأيدينا و بما بيننا الحساب، ولم باقي بطرفنا الى الس يادة سوى أأ ب رعة مائة ريال و تسعة زشر ريال. و باقي لنا المصروف الذ صرفنا على زيت المهدية، الي يقدم الى طرفنا فيه سليمان بن الفقيه احمد و زطانا المصروف، ذلک المراد و ان لم يعط نأأخذ ذلك من الدراهم المذکورة بأأيدينا. و کذلک س يد باقي الى الس يادة بطرف الذمي ميمون ثلاث ماية ريال مثل ما زرفناکم سابقا، وهذه زندنا زرفناکم به و لا نريد سوى الخير و السلام. من تابعكم مقلل بأأيدکكم الکرام محمد قلاز ،لطف الله بالجميع أأمين. في 17 رجب الأصب 1232
Deuxième lettre de Si Hmida Ben Ayed
اجتهدوا في الخلاص بالعزم و النجاز في غير زهدة و لا تراخي و لا غفلة و لابد …
” جمادى الأولى 1210ه “القايد حميدة بن عياد
Lettre citant Si Mohamed Ben Ayed
الحمد لله ترتبت للمكرم الأجل المرعي المبجل المحترم الأكمل القاري النبيه محمد بن عياد قايد الأعراض في التاريخ بذمت (بذمة) المكرم الأجل الشيخ محمد بن الحمروني الصنهاجي الشننّاوي القابسي و المكرم الحاج بلقاسم ابن عبدالله السنوسي الشنناوي القابسي و المكرم بوبكر بن عزيز بن عبد الدايم من القبيل و المكرم بلقاسم بن الحاج علي الراشدي من القبيل و المكرم محمد بن حسن البدروش و المكرم الحاج علي بن محمد بن جابر من القبيل و المكرم منصور بن احمد العكروت من القبيل الف ريال واحدة سكة الوقت من وجه سلف بالمعروف قبضوها منه بالسواء بينهم باعترافهم يدفعوا له ذلك بالحلول من غير قول لهم و لا حجة شهد على اشهادهم بذلك …. … مع أن من عرف الجميع الشيخ عمر بن سليمان عازق الدويري و المكرم بلقاسم بن علي حرّاق الدويري و بمعرفتهما …
Lettre de Ahmed Bey destinée à Si Mahmoud Ben Ayed
لحمد لله، الهمام المقرب الثقة الأحضى الأرضى الأعز أمير اللواء ابننا محمود بن عياد حرسه الله أما بعد السلام عليكم و رحمة الله فانك تخلفت عن القدوم الى المحمدية مدة و تحيرنا من ذلك و المانع خير ان شاء الله و أعلم أنه غدا ليلة الخميس المبيت عندنا بالمحمدية على العادة الدايمة ان شاء الله فاقدم و لا تتخلف الا لعذر و عافاكم الله و ابعث الزلابية و المخارق و المدموجة و العشا مثل العادة و دمتم في أمن الله. و السلام، من الفقير الى ربه تعالى عبده المشير أحمد باشا باي وقيه الله آمين و كتب ليلة الأربعاء 11 رمضان 1265،
Extrait de lettre citant Si Hmida Ben Abderahmen Ben Ayed
الحاج مصطفى بن المرحوم محمد الساحلي شهر بوخروبة و محمد بن حمودة البليدي و حسن بن ساسي الشايب به عرف كلاهم صبي معصرة …محمد بن علي الدويري رايس معصرة حميدة بن عياد داخل سور باب الجديد
… 1281ه
Lettre de Si Mahmoud Ben Ayed pour la fondation de la Banque Nationale de Turquie
Lettre de Sir Thomas Reade, citant Si Mohamed Ben Ayed.
Communiqués de Si Mohamed Ben Ayed
Lettre de la princesse Lesley-Maud Ben Ayed
Nos remerciements à Mrs. Samy et Mohamed Zied Fekih Ahmed et M. Laroussi KHEMIRA pour leurs recherches.
En 1853, après maintes démarches insistantes et diverses tractations plus ou moins secrètes effectuées par Ahmed Bey, le nouvel Empereur des Français, Napoléon III, exprima son accord, en vue de recevoir un ambassadeur dépêché par ce Prince Husseinite, avec, pour mission, de lui exprimer les compliments de la Régence de Tunis…
Au bout de plusieurs jours de voyage en Méditerranée, puis à travers la France, la délégation arriva, enfin, à Paris, le samedi 26 février 1853 à 22h.45.
Le Général Réchid et ses compagnons (Rousseau, Clément, le Capitaine Mourad et le Valet de chambre Zarrouk) trouvèrent, à la gare, Jules de Lesseps, l’agent du Bey, à Paris, venu les attendre pour les conduire chez Mahmoud Ben Ayed.
Et ce fut dans la voiture de ce dernier (aussi somptueuse que possible) que l’ambassadeur et sa suite arrivèrent au Palais parisien de celui qu’Alphonse Daudet appellera « Le Nabab ».
Le Palais Ben Ayed à Paris
Le Palais Ben Ayed (aujourd’hui l’Hotel Collot – Galerie Kugel) est un immeuble portant le n°25 du quai d’Orsay et haut de trois étages. Il avait comme dépendance un second bâtiment dont il était séparé par une cour décorée de plantes vertes. Ce pavillon était à l’époque habité par Jules de Lesseps, agent du Bey à Paris.
Le capitaine Mourad dans son journal nous précise la situation de ce palais, “limité à l’Est par le fleuve qui traverse la ville, qu’on appelle la Seine et où l’on voit des bateaux-lavoirs, etc… au Nord par des immeubles dont le Palais du Gouvernement (sans doute le ministère des Affaires étrangères), à l’Ouest et au Sud par des immeubles appartenant à des particuliers.” Pour donner une idée du train de vie et de l’organisation de Mahmoud ben Ayed, Mourad donne une liste de ses serviteurs musulmans et français, avec l’indication de l’emploi et des gages de chacun d’eux. Secrétaires, commissionnaires, portiers, cuisiniers, valets de chambre, préposés à l’entretien des lumières, etc., sont au nombre de seize, et le total de leurs gages s’élève à 670 frs par mois. La maison est organisée « à l’européenne », et aucun de ces employés ne fait le travail d’un autre, note Mourad.
Mahmoud Ben Ayed accueillit ses hôtes avec joie, leur souhaita vivement la bienvenue et les conduisit, vu l’heure, aussitôt à table.
Après le dîner, tout le monde gagna la salle de réception richement décorée de consoles, de lustres et de candélabres. Sur les murs de cette salle « digne d’un sultan » selon l’appréciation de Mourad, figuraient, en bonne place, dans des cadres dorés, les portraits d’Ahmed Bey et de Napoléon III.
Cette salle et la chambre à coucher attenante étaient réservées, par Ben Ayed, à l’ambassadeur. Le médecin Clément, Rousseau et le capitaine Mourad furent logés dans des pièces parfaitement aménagées à l’étage supérieur.
Dans la matinée du dimanche, Réchid remit à Ben Ayed une lettre d’Ahmed Bey et deux lettres de Mustapha Khaznadar son premier ministre. Ensuite, il accorda une audience à Jules de Lesseps et à Charles Lagau, un ancien chargé d’affaires et consul général de France à Tunis ; Lagau, dont la mère était une de Lesseps, était venu en particulier, pour accompagner son cousin. De plus, il était là pour égrener des souvenirs sur la visite, effectuée à Paris sept ans plus tôt par Ahmed Bey et qu’il avait accompagné dans la capitale française en cette occasion mémorable.
Le Général Réchid lui remit, à lui aussi, des messages de Mustapha Khaznadar. A son tour, le Général Esterhazi, qui avait dirigé la mission militaire française dans la Régence, fut reçu par le Général Réchid qui, également, lui remit une lettre du premier ministre et lui transmit les compliments du Bey.
Mahmoud Ben Ayed organise très souvent de somptueux diners dans sa prestigieuse résidence parisienne, dans les notes du capitaine Mourad nous apprenons que :
Mercredi, 13 avril. – Ben Ayed offre en son palais un dîner au ministre des Affaires étrangères, à d’autres ministres, à des maréchaux et généraux. Mercredi, 20 avril. – D’autres personnalités officielles et des officiers généraux, parmi lesquels Youssouf, dînent chez les ambassadeurs de Tunis.. Mercredi, 27 avril. – Nouveau dîner au Palais Ben Ayed en l’honneur de généraux et d’ambassadeurs étrangers. Jeudi, 28 avril. – Soirée -aux Tuileries offerte par l’Empereur. Rachid, Ben Ayed, de Lesseps, Rousseau, Clément, .y assistent.
Mercredi, 4 mai. – Ben Ayed a pour invités l’oncle de l’Empereur et tous les princes et princesses de la Maison impériale. Avant le dîner, le prince Jérôme annonce des décorations: Rachid est promu à un grade supérieur, et Clément est nommé à l’ancien grade de Rachid (aucune précision, mais il s’agit certainement de la Légion d’Honneur: officier pour Rachid, chevalier pour. Clément). Les diplômes sont remis aux intéressés. Les invités ne se retirent que tard dans la soirée.
Visite officielle à l’empereur Napoléon III
C’est le mercredi 9 mars 1853 qu’eut lieu la visite officielle à l’Empereur. A 12h.30 arriva le deuxième introducteur des ambassadeurs, Feuillet de Conches. Il était monté dans une voiture de la cour, conduite par un cocher aidé de deux valets de pied et escorté par trois cavaliers de la garde impériale en grand uniforme. Feuillet de Conches déclara, aussitôt, qu’il était chargé par l’Empereur de conduire l’ambassadeur de Tunis et sa suite auprès du Souverain.
A 13 heures, Réchid, Mahmoud Ben Ayed, Feuillet de Conches et Jules de Lesseps prirent place dans la voiture de Mahmoud Ben Ayed. Tout le monde était en grand uniforme. A l’arrivée, au Palais des Tuileries, la garde présenta les armes. Les membres de la mission furent introduits dans le premier salon où se trouvaient, déjà, plusieurs ministres et hommes d’Etat.
L’arrivée des tunisiens fut aussitôt annoncée à l’Empereur. Au bout d’un quart d’heure, le premier introducteur des Ambassadeurs vint les appeler. Ils pénétrèrent, alors, dans un grand salon. Là, ils trouvèrent Napoléon III debout en grand uniforme, ainsi que le premier interprète Desgranges et le deuxième introducteur des ambassadeurs, Feuillet de Conches.
Les Tunisiens saluèrent, selon l’usage, puis le Général Réchid s’avança en tenant à la main la lettre d’Ahmed Bey et s’exprima en ces termes : « Notre seigneur et maître présente ses salutations à sa Majesté l’Empereur, dont l’avènement au trône l’a grandement réjoui ; c’est pour exprimer sa joie qu’il lui adresse cette lettre, le félicitant de son accession à la dignité impériale ».
L’interprète, alors, s’avança, traduisit et ajouta : « Son Altesse le Pacha de Tunis a déjà un ambassadeur à Paris, le Général Mahmoud Ben Ayed, mais, pour exprimer sa joie insigne, il a tenu à adresser, à votre Majesté, ce message et à le confier à un deuxième envoyé. Son Altesse a chargé ces deux ambassadeurs de présenter ses félicitations à votre Majesté ».
L’Empereur répondit : «J’ai été, également heureux, d’apprendre l’arrivée de cet ambassadeur, sachant l’estime dont il jouit auprès du Pacha. C’est un des généraux les plus renommés de son entourage et je vois dans cette mission une preuve de l’amitié et des sentiments fraternels et cordiaux qui règnent entre nous, mais nous avons appris avec peine que son Altesse est malade et nous savons qu’elle compte venir à Paris afin de s’y soigner… Nous espérons que ce voyage lui apportera la guérison et que nous pourrons avoir la joie complète de savoir sa santé bien rétablie ».
L’interprète dit alors : « Nous avons appris, en effet, qu’il compte venir à Paris, mais seulement lorsque la vapeur Mogador » pourra aller le chercher à Tunis ».
Napoléon III sourit, montrant sa satisfaction : « La chose est facile », dit-il, « le Mogador et d’autres bateaux peuvent être mis à sa disposition. Ce qui nous réjouirait, ce serait de le voir et de fêter son retour à la santé ».
Le Général Réchid présenta, alors, la lettre du Bey et l’empereur s’approcha lui-même pour la prendre. L’introducteur des ambassadeurs la reçut ensuite des mains du Souverain et la déposa sur une table proche.
L’Empereur, s’adressant au Général Mahmoud Ben Ayed lui dit : « J’ai appris que vous avez acheté quelques propriétés à Paris ».
Ben Ayed répondit par l’affirmative. Napoléon III dit ensuite au Docteur Clément : « Je sais que vous êtes Français et médecin dans l’armée tunisienne ».
Puis il lui demanda son nom et la durée de son séjour en Tunisie. Clément répondit après s’être présenté qu’il est né en Tunisie de père et mère français et qu’il est médecin du 2ème Régiment de l’Armée Tunisienne à Sousse sous le commandement du Général Réchid.
L’Empereur posa enfin des questions au capitaine Mourad, qui se nomma et indiqua son grade et son titre d’aide de camp. Avant de laisser sortir la délégation, Napoléon III complimenta le Général Réchid et le chargea de transmettre ses salutations au Bey.
L’esclavage a été aboli en Tunisie le 23 janvier 1846 sous le règne de Ahmed Bey. Le 2 février 1846, Sir Thomas Reade, consul général de Grande Bretagne, sans lequel cette décision historique aurait tarder à voir le jour organisait une réception afin de remercier toutes les personnes qui ont rendus cette mesure possible.
Le consul général, accompagné de Monsieur Ferrier son vice-consul, Monsieur Santillana, chancelier du consulat et son fils, Messieurs Richardson et Holman, les célèbres explorateurs, quittèrent Tunis en direction du Palais du Bardo.
Le Bey les reçus de façon très cordiale dans sa salle d’audience privée en compagnie de ses ministres. Parmi lesquels et à ses cotés, Si Mustapha Khasnadar, son favori et ami intime, Si Ahmed Ibn Abi Dhiaf, son secrétaire privée du Bey, le chevalier Raffo son ministre des affaires étrangères, et Monsieur Bogo, son ministre des affaires liés aux résidents européens.
James Richardson, donna les lettres de remerciements et les signatures au chevalier Raffo afin de les présenter au Bey. Ahmed Bey les donna alors à son secrétaire Ahmed Ibn Dhiaf pour les lire en langue arabe, les traductions en arabes ayant été préalablement faites. Le café fut servi avant la lecture des documents pour tous les visiteurs.
Le premier document qui fut présenté était la lettre de Monsieur Richardson dont voici un extrait:
“Je présente à votre Altesse au nom de Dieu, que tous chrétiens et musulmans adorent, nos remerciements et notre témoignage de gratitude signés par les officiers britanniques. Commerçants et résidents de Malte, de Gozo, de Gibraltar, de Florence, de Livourne, de Naples, de Smyrne et de Tripoli, remercient votre Altesse, pour ses premières étapes préliminaires que votre Altesse a décidé de franchir en vue d’abolir l’esclavage dans votre royaume. Parmi les noms, qui soutiennent votre décision, votre Altesse trouvera plusieurs gentlemens britanniques du plus grand talent et au rangs les plus éminents qui se sont spontanément manifestés pour vous témoigner leurs admirations et leurs gratitudes pour votre noble conduite philanthropique pour soulager la souffrance de l’Humanité et reconstruire de nouveau la grandeur de l’Afrique du Nord…”
“Nous sommes convaincus que votre Altesse a obtenu plus d’honneur pour cet acte en faveur de l’abolition de l’esclavage que n’importe quel prince musulman n’a jamais acquis par la guerre ou la conquête, ou par la promotion des arts ou de la science, et nous sommes persuadés que si votre Altesse continue ce grand travail d’émancipation pour l’Afrique, le nom de votre Altesse sera couvert de gloire …”
“Nos compatriotes sont profondément conscients du grand mérite du représentant de leur souverain à la cour de votre Altesse, qui a humblement et sans cesse représenté à votre Altesse le grand bien que ferait cette mesure et la réputation que votre Altesse pourrait acquérir en Europe et dans le Monde …”
” Nous sommes heureux d’apprendre également que des Français éclairés et philanthropes ont félicité Votre Altesse pour votre noble détermination à abolir l’esclavage, car dans cette immense mesure d’humanité, les rivalités nationales s’éteignent…”
Puis a suivi la lecture de remerciement de la British and Foreign Anti – Slavery Society. Lors de la lecture de ces documents, le Bey se montrait parfois très agité, et lancé des paroles en italien et en arabe, mettant sa main sur sa poitrine, et ajoutant: ” Je l’ai fait de bon cœur “!
Son Altesse s’est ensuite adressé à M. Richardson en ces quelques mots:
“Je vous suis très reconnaissant, Monsieur, de la peine que vous avez prise à préparer ses témoignages et à obtenir les signatures. Je suis extrêmement reconnaissant à ceux de vos compatriotes qui vous ont délégué de me présenter ces témoignages. Je suis profondément sensible au grand honneur qui m’a été ainsi conféré. Et je ne manquerai pas de saisir toutes les opportunités qui sont en mon pouvoir pour améliorer la condition des Noirs d’Afrique. J’ai commencé avec plaisir l’abolition de l’esclavage, et je ne cesserai de poursuivre le grand travail d’émancipation que lorsque j’aurai complètement extirpé l’esclavage de mon royaume.”
Une fois ces paroles terminés les visiteurs prirent congé de Son Altesse. Ils étaient très flatté de voir la cordialité qui existait entre Sir Thomas Reade et le Bey.
“Nous ne pouvons clore le récit sans présenter nos remerciements à Sidi Mohamed Ben Ayed, qui s’est beaucoup intéressé à la réussite de notre mission. Sidi Ben Ayed est l’un des principaux courtisans de Son Altesse le Bey; il est le personnage le plus opulent et le plus influent du royaume de Tunis et il y joui de grande faveur. En effet, sa générosité et son caractère aimable, ainsi que sa connaissance des pays chrétiens (car il a été en Europe), font de lui un favori universel. Sa famille est très puissante et possède un excellent caractère. Sidi Ben Ayed, pour des raisons urgentes, n’était pas présent à la réception, mais a exprimé ses plus chaleureuses sympathies pour le succès de la mission. “
(Extrait de “The British and Foreign Anti-slavery Reporter”)
Depuis les années 1840, la famille Ben Ayed était une alliée stratégique de la couronne britannique. En effet Sidi Mohamed Ben Ayed, très prévoyant, en incluant ses descendants (hormis son fils Mahmoud Ben Ayed) avaient obtenus le statut de protégés britanniques après la mort de Hussein II Bey dont il était le fidèle serviteur et son conseiller le mieux averti.
Sidi Mohamed était l’une des personnes les plus influentes de la régence, ambassadeur et envoyé extraordinaire du Bey au roi Louis Philippes en 1831, où il observa toute la puissance des armées européenne, il permit grâce à ses conseils d’éviter une guerre in extremis entre la régence et le royaume de Sardaigne.
Sir Thomas Reade, consul général de Grande Bretagne de l’époque comprend rapidement qu’il doit en faire un précieux allié, dans son combat pour l’abolition de l’esclavage dans lequel Sidi Mohammed Ben Ayed jouera un rôle considérable en 1846.
Sidi Mohammed Ben Ayad laisse peu à peu son fils Mahmoud prendre le relais pour devenir en peu de temps le financier omnipotent de la régence sous Ahmed Bey 1er.
En 1847, Sidi Mohamed Ben Ayed se brouille avec son fils Mahmoud et le Bey au sujet de diverses affaires notamment la création de la Banque de Tunisie pour laquelle il était contre. Se sentant menacé il cherche refuge auprès de son ami Sir Thomas Reade avec son neveu Hmida Ben Ayed au consulat britannique qui en informe Lord Palmerston à Londres.
Lord Palmerston, premier ministre de sa majesté la Reine Victoria ordonne à son représentant à Tunis, Sir Thomas Reade de veiller à la protection de Sidi Ben Ayed et envoi un message à son altesse le Bey de la part de la reine Victoria on ne peut plus clair:
“Sa majesté la reine Victoria ne tolérera en aucun cas que l’on touche à un seul cheveu de Ben Ayed.”
“La famille Ben Ayed se succéda durant de nombreuse année dans la gouvernance de L’île de Djerba, elle appartient à l’une des rares familles restantes de la noblesses arabes.”
(Extrait de The Last Punic War: Tunis past and Present.)
Après quelques années de recherche, nous avons réussi à reconstituer l’arbre généalogique de la branche tuniso-djerbienne des Ben Ayed de 1700 à nos jours.
Le père fondateur de la dynastie est Kacem Ben Ayed. Il est née vers 1700, il est originaire de l’île de Djerba. De simple commerçant, il gravit les échelons et remplit de nombreuses charges makhzéniennes pour devenir en 1758, le premier Caid de la famille. Son frère Ali en 1778 prendra la relève puis ses enfants Regeb, Ahmed et Hmida Ben Ayed succéderont à leur oncle.
Regeb Ben Ayed devient Caid du Cap Bon et grand douanier (décédé en 1800), Hmida Ben Ayed devient général de la cavalerie de l’Aradh et chargé des relations extérieures. Ahmed quant a lui occupera brièvement le poste de khasnadar puis s’exilera en Egypte à la suite d’un différend avec Ismail Bey, bey de camp sous Hamouda Bacha et qui finira par l’assassiner en Alexandrie. En plus de leurs fonctions, les frères Ben Ayed exercent des activités commerciales, et sont parmi les plus important armateurs corsaires de leur époque.
A la mort de Hmida Ben Ayed en 1817, ses enfants Younes, Salah, Said et Mohamed lui succèdent à la tête du caïdat de l’Aradh, mais c’est Mohamed qui se démarquera parmi ses frères et deviendra le chef de la famille Ben Ayed et l’un des hommes les plus influents de son temps.
En 1831 le Général Mohamed Ben Ayed, est nommé ambassadeur, il est envoyé en France pour le compte d’Hussein II Bey et c’est en cette qualité qu’il est présenté à Louis-Philippe, nouveau roi de France, par le consul Mathieu de Lesseps. Grâce à ses conseils, il évite in extremis une guerre entre la régence de Tunis et le Royaume de Sardaigne.
À l’avènement d’Ahmed Ier Bey en 1837, il laisse progressivement sa place de principal conseiller du bey pour les opérations de commerce au profit de son fils cadet, le général Mahmoud Ben Ayed, progressiste et acquis aux nouvelles valeurs européennes. Mahmoud devient alors le chef de la famille, ses frères Abderahmen (mort en 1835) et Soliman se succéderont en tant que caid de Djerba.
A la suite de l’affaire Ben Ayed, Mahmoud s’exilera en France en 1852, son neveu par son frère Abderahmen, Hamida Ben Ayed lui succèdera et deviendra à son tour chef du clan Ben Ayed. Pour l’Histoire, l’année Boubarek en 1868, famine, invasion de sauterelles avec le choléra avait fauché en Tunisie 30000 personnes ! Le général Hamida Ben Ayed et sa famille avait mobilisés tous leurs moyens pour venir en aide au plus démunis, ils distribuèrent du pain et de l’huile, et achetèrent du grain, à Marseille, Naples et Tripoli. Les secours que la famille Ben Ayed avait prodigués aux nécessiteux se chiffrait par millions.
La famille Ben Ayed a également donné d’autres personnalités plus contemporaines, nous pouvons citer, Farhat Ben Ayed, qui fut garde des sceaux et l’un des fondateurs du parti Destour en 1920, le prince Adel Ben Ayed qui faillit accéder aux trône syrien, ou encore la princesse Khayriya Ben Ayed, qui fut la première femme du monde musulman à avoir publiée un ouvrage sur l’émancipation de la femme au début du XX ème siècle. Nous pouvons encore citer Aly Ben Ayed, le célèbre acteur et metteur en scène, figure emblématique et père du théâtre tunisien, le professeur en Médecine Hassouna Ben Ayed maître incontesté de la médecine tunisienne, sans oublier l’homme d’affaire feu Hédi Ben Ayed qui dès 1954 fut précurseur et introduisit l’electro-ménager en Tunisie et bien d’autres personnalités.
Après le bey, le Général Sidi Mahmoud Ben Ayed était le personnage le plus considérable de la régence de Tunis .
Il a réussi, grâce à l’héritage familial et aux différentes charges qu’il occupait à se hisser au sommet des responsabilités de la régence et à devenir le fermier général de tout ce qui constituait les revenus de l’Etat : il avait dans ses mains la perception de toutes les contributions en nature et en argent, la disposition de tout le système monétaire , la direction de la banque de Tunis : il était le munitionnaire général de l’armée , le fournisseur de tous les objets requis pour la personne du bey, pour la splendeur de sa cour, pour le besoin de sa maison civile et militaire; en un mot, Ben Ayed était le budget vivant du gouvernement de Tunis.
Comment, un beau jour , Ben Ayed s’est-il trouvé en délicatesse avec Sidi Ahmed bey ? Si vous écoutez le bey, il vous dira que les comptes de son ministre étaient entachés de graves irrégularités , et qu’en refusant de venir les expliquer lui-même, celui-ci n’a que trop justifié les soupçons qui pesaient sur lui .
Si vous vous en rapportez à Ben Ayed , l’irrégularité des comptes n’était qu’un prétexte. On l’avait desservi auprès de son souverain. Le bey , prêtant une oreille trop facile aux conseils intéressés qui l’engageait à battre monnaie sur le dos de son sujet , ne le rappelait que pour confisquer ses biens et livrer sa personne aux vengeances de ses ennemis. L’histoire de Youssef Saheb Ettaba ministre principal sous Hammouda Pacha, devenu lui aussi trop puissant et que les princes Hussein et Moustapha manipulés par Mohamed Larbi Zarrouk avaient assassinés et avaient également spoliés toutes sa richesse que le ministre avait amassées grâce à son dur labeur n’était guère lointaine dans l’esprit de Ben Ayed et cette histoire risquait de se répéter. Ce qui est certain, c’est que Ben Aved , s’était exilé en France comme envoyé de son souverain, et refusa net de retourner vers lui . Le khasnadar eut beau lui faire, au nom du bey, toutes les agaceries imaginables, Ben Ayed, qui a la prudence du serpent, ne s’y laissa pas prendre. La précaution était bonne.
Aussitôt que le bey avait été informé du refus de son ministre, il avait mis les biens de celui-ci sous le séquestre et retenu ses enfants en otage. Heureusement, Ben Ayed avait pu sauver sa famille, et une partie de sa richesse. A son arrivée à Paris , le général Ben Ayed très habile en affaire achète, d’abord le passage du Saumon, qu’il paya trois millions au duc de Montmorency, puis un hôtel au quai d’Orsay, l’actuel “Hotel Collot” devenu galerie d’art des frères Kugel ou encore la terre d’Epinay, puis enfin des biens dans le Berri . En 1853 on évaluait sa fortune à quarante millions.
Les choses était poussées au point où elles ne pouvaient plus se dénouer à l’amiable. Ben Ayed réclamait, outre ses propriétés séquestrées, le payement des avances qu’il avait faites . Le bey lui demandait compte de 154,000 mesures d’huile et de 700,000 hectolitres de blé ou d’orge qu’il accusait son ancien sujet d’avoir détournés pour les lui revendre ensuite . L’empereur Napoléon III , choisi pour arbitre par les deux parties , confia l’examen du différend à une commission , dont M. Portalis fut le président. Cette commission, après une longue et minutieuse instruction, balança les prétentions respectives du bey et de son ancien ministre au moyen d’un solde de 34,727,227 francs en faveur de Ben Ayed.
Ce résultat , Ben Ayed le devait en grande partie aux efforts éclairés de son représentant auprès de la commission, M. Charles de Lesseps, frère du célèbre Ferdinand de Lesseps qui fit construire le canal de Suez. Pendant dix-huit mois, M. de Lesseps , un homme considérable , qui a été député et conseiller d’Etat , s’est complètement voué à ce travail au service du général Ben Ayed.
L’histoire loin de s’être terminée, à la mort du général en 1880 à Constantinople dont la fortune s’était fructifié, et qui avait laissé près de 300 millions de franc à ses nombreux héritiers, leur a également légué l’amour des procès. Son fils Ahmed Ben Ayed récupéra le dossier et réussit après de nombreuses années et sous le règne de Sidi Mohamed Naceur Bey réussi à récupérer une partie des biens spoliés qu’il finit par revendre aux enchères.
La princesse Khayriya Ben Ayed est née à Istanbul en 1873, son père n’est autre que le général Tunisien Mahmoud Ben Ayed qui a servi l’Etat Tunisien de 1837 à 1855. Ayant amassée une grande fortune dans les affaires, il se réfugia à Paris suite à des divergences avec le Bey. Après quelques années à Paris, il alla s’installé à Constantinople, en Turquie, où il commença une nouvelle vie. Il fut accueilli par le Sultan Abdulhamid II et put développer auprès des courtisans du Sultan un réseau d’influence considérable. Mahmoud Ben Ayed devint une figure importante de la Turquie.
Dans son Palais au bord du Bosphore à Uskudar, Mahmoud Ben Ayed vécu à la mode turque où il multiplia les mariages et se constitua un vrai harem. Il eut en conséquences de nombreux descendants dont Khayriya. Mahmoud était néanmoins un homme éclairé et ouvert à la modernité. Il consacra à ses enfants une bonne éducation et envoya ses fils poursuivre leurs études en Europe.
La princesse Khayriya se maria à un Ali Nuri Bey écrivain et homme politique d’origine suédoise et converti à l’Islam, qui devint consul dans la région du Caucase (principale source d’odalisque blanche pour les harems ottomans). En suivant le courant moderniste et en prônant le droit à une plus de liberté au sein de l’Empire, les relations avec le sultan Abdulhamid II se détériorèrent, Ali Nuri Bey du alors se réfugier en Europe, plus précisément en Hollande où il s’installa à Rotterdam, laissant Khayriya et ses enfants en Turquie, qui le rejoignirent clandestinement sur un bateau français en réussissant à déjouer la vigilance de la police turque qui était à leur poursuite plus tard.
Cette expérience si l’on peut dire de persécution politique et d’exil forcé ont permis à Khayriya de s’engager dans l’opposition politique. Elle organisa alors diverses conférences en Europe, et jusqu’aux USA afin de dénoncer le despotisme du sultan ottoman, mais également les difficultés que confère le statut de la femme Turque, et la dynamique interne ainsi que les injustices au sein du harem du Sultan dont elle était une observatrice de première ligne.
Elle donna une conférence à Vienne qui fut traduite en langue allemande en 1904, et publiée sous le titre « La femme turque : sa vie sociale et le Harem. » (Die Turkish Frau : Ihr Soziales Leben und der Harem) Elle devint la première femme du monde musulman à avoir publiée un ouvrage sur l’émancipation de la femme au début du XX ème siècle. (Voir les travaux de M. Younis Wsifi, « Khayriya Ben Ayed, l’une des pionnières de l’émancipation de la femme à la fin du 19 ème siècle » 2005.)
Le prince Adel Ben Ayed est née dans le quartier de Uskudar à Constantinople en Turquie, en 1883. Il est apparenté, par sa mère la princesse Roukia Fazil Ibrahim, au Khédive d’Egypte Mohamed Ali.
Descendant des Omeyades, anciens rois de Syrie et d’Andalousie (voir article sur le Roi de Murcie et Valence Abdallah Ben Ayed). Sa branche paternelle a fourni, depuis plusieurs siècles, des ambassadeurs et des hommes d’Etat en Tunisie, en Orient, en Europe, et surtout à Paris. Son arrière grand-père Sidi Mohamed Ben Ayed fit don d’un splendide berceau, enrichi de pierres précieuses, pour le petit prince impérial Louis. Le roi Louis-Phillipe lui conféra les plus grand honneur en lui décernant la croix de Grand officier de l’Ordre National. Les Ben Ayed, très bien en cour sous le roi Louis-Philippe, furent, ensuite, les hôtes du palais impérial de Saint-Cloud et leurs relations avec Waldeck-Rousseau dépassèrent la simple amitié pour atteindre à l’affection véritable. Son grand-père n’est autre que le célèbre Sidi Mahmoud Ben Ayed.
Le Prince Adel Ben Ayed Parti en Egypte avec sa famille en 1903, il séjourna pendant vingt cinq années au Caire où il épousa sa cousine la Princesse Aïn el-Hayat fille du Prince Mohamed Ibrahim d’Egypte et dont il eu quatre enfants.
Grand, élancé, sa physionomie, à la fois altière et franche, reflète la loyauté et l’intelligence.
Ancien élève du lycée Louis le-Grand et de la Faculté de Droit de Paris, le Prince nourrissait à l’égard de la France des sentiments de sympathie si sincères que sa vie s’est écoulée entre Le Caire et Paris.
En 1929, le prince Ben Ayed fut soutenu par la France comme étant le prétendant le plus notoire au Trône de Syrie, désirant par son action établir l’ordre et une paix véritablement féconde pour le Royaume de Syrie.
Comme une sorte d’annexe au Palais Ben Ayed de Cedghiane, palais datant de 1775 dont une grande partie est en ruine, pourquoi ne pas créer un nouvel espace culturel événementiel et artistique ?
Ce lieu à ciel ouvert pourrait accueillir de petit événements ou des spectacles familiaux par exemple. Un endroit de vie où les gens pourront venir le matin, l’après-midi, le soir… un endroit où Il se passera toujours quelque chose.
Avec la création de ce nouveau théâtre en plein air, l’association pour la restauration du palais pourra ainsi, par la suite, utiliser les fonds récoltés pour la restauration et la sauvegarde du palais tout en faisant de lui un lieu de vie, accueillant rencontres, concerts ou expositions.
Il y avait à peu près six mois qu’une femme, qui n’avait pas de rivale en beauté, était arrivée à Paris, où son entrée dans le monde avait fait sensation; on s’accordait à dire qu’elle possédait une immense fortune, et l’on savait qu’elle n’était venue à Paris que pour visiter ce que la capitale renfermait de plus séduisant et de plus curieux. Grande, brune, avec une figure douce, des traits admirables, des épaules magnifiques, un port de reine, une toilette pleine de goût, Ben-Aïad (c’était le nom de l’étrangère) méritait certaine ment qu’on s’occupât d’elle. Ben Ayed était continuellement en mouvement. A deux heures, on la voyait aux Champs-Elysées ; à trois heures, au Palais-Royal; à huit heures, au théâtre. Son hôtel était envahi tous les jours par une foule d’importuns qui venaient lui présenter leurs hommages. Quoique ces continuelles réceptions ne fussent pas du goût de Ben-Aïad, elle accueillait cependant ses visiteurs avec une grâce si parfaite que ceux-ci, pour la plupart, ne la quittaient qu’en se promettant de revenir la voir.
L’étrangère sortait toujours seule, et cette circonstance
n’était pas celle qui intriguait le moins. Agée au plus de vingt-cinq ans,
ayant un grand usage du monde » dans lequel elle brillait non-seulement par ses
qualités physiques, mais encore par celles de son esprit, Ben-Aïad n’avait
certainement que l’embarras du choix pour prendre un époux parmi ses nombreux
adorateurs. Avait-elle donc fait vœu de célibat? Un certain jour cependant, des
gens dignes de foi affirmèrent l’avoir vue dans son carrosse en compagnie d’un
monsieur âgé. Sa voiture, assuraient-ils, avait suivi la ligne des boulevards
et s’était engagée dans l’avenue des Champs-Elysées. Cette nouvelle ne fut pas
plutôt accréditée, que tous ceux qui avaient contribué à faire de Ben-Aïad leur
idole, s’empressèrent de la briser. L’étrangère, tout d’un coup, descendit au
rang de courtisane, et les quelques désœuvrés qui s’occupèrent encore d’elle y
furent poussés par la curiosité de savoir à qui elle avait accordé ses
préférences.
Le fait cependant n’était exact que sur un point seulement : celui de la présence du monsieur dans la voiture de Ben-Aïad mais il n’était pas vrai que cet homme eût obtenu les faveurs de l’étrangère. Le personnage en question était consul de France en Egypte. Reçu plusieurs fois dans les salons de Ben-Aïad, il avait fait sa connaissance, et s’était cru dans l’obligation de lui présenter ses hommages en revenant à Paris, où il ‘avait été appelé momentanément pour affaires politiques. L’étrangère, en lui offrant une place dans sa voiture, ne croyait certainement pas commettre une imprudence. Alfred, qui avait entendu parler de la princesse et qui savait qu’elle fréquentait assidûment l’Opéra, s’y rendit un soir dans l’intention de la voir. A peine venait-il de se placer, que la porte d’une loge, qui faisait face à la sienne, s’ouvrit et donna passage à Ben-Aïad. Le consul était derrière elle.
Un murmure d’admiration l’accueillit à son entrée. Alfred ne put détacher son regard de cette femme dont la beauté le ravissait, et il n’eut plus qu’un désir : celui de lui parler. Au premier entr’acte, il se rendit donc à la loge de Ben-Aïad et demanda la faveur de lui présenter ses civilités. Il n’eut qu’à décliner son nom pour être reçu. L’accueil que lui fit l’étrangère fut si charmant, qu’Alfred ne se rendit compte du temps qu’il avait passé auprès d’elle que quand on leva le rideau. Alors il s’excusa et voulut partir, mais Ben-Aïad le pria de vouloir bien rester dans sa loge jusqu’à la fin de la pièce, ce qu’il accepta. Le consul, cette fois, se trouvait relégué au second plan.
— Je prends un grand intérêt, dit l’étrangère à Alfred, à tout ce que j’entends dire de vous dans le monde. J’ai visité moi-même les établissements publics que vous avez fondés, et je déclare que j’ai été émerveillée de la façon intelligente suivant laquelle les soins sont donnés à vos protégés. Vous me laisserez la satisfaction, je l’espère, de concourir, dans une certaine mesure, au développement de vos idées philanthropiques. Je regrette de m’y prendre si tard, mais c’est aujourd’hui, pour la première fois, vous le savez, que j’ai l’avantage de me trouver avec vous.
— Madame, répliqua Alfred, c’est à moi qu’il appartenait de solliciter votre concours et je m’accuse de ne l’avoir pas fait. La crainte d’être pris pour un importun est ma seule excuse.
— Il n’y a d’importuns que les gens sans esprit, répondit l’étrangère en dirigeant son regard vers le consul qui devint pourpre ; vous ne serez jamais du nombre.
— Monsieur, sans doute, est un de vos parents ? dit Alfred en saluant le consul. — Monsieur est le consul de France en Egypte, répondit négligemment Ben-Aïad; mais son séjour à Paris ne peut plus être de longue durée maintenant, attendu que les affaires qu’il avait à traiter sont sur le point d’être terminées.
— J’avais l’intention, Madame, de demander un congé d’un mois, dit le consul d’une voix tremblante; mais comme je ne veux pas vous désobliger, je partirai quand ma mission sera finie.
— Comme il vous plaira, Monsieur; vous êtes parfaitement libre d’agir comme il vous convient. Le consul ne répondit rien, mais il serra les poings avec colère.
— Ne trouvez-vous pas, continua l’étrangère en se retournant vers Alfred, que cette pièce est ennuyeuse? Sur ma parole, nous n’avons plus de bons auteurs.
— Je suis de votre avis, Madame. Si même votre intention est de quitter la salle avant la fin de ce dernier acte, je vous demanderai la faveur de vous reconduire jusqu’à votre hôtel.
— Je vous prie seulement de m’accompagner jusqu’à ma voiture, dit Ben-Aïad en se levant. Cette dernière phrase, qui accordait au consul un congé plus long que celui qu’il voulait solliciter, lui mit la rage au cœur. Il saisit son chapeau, salua la princesse Ben Ayad, et sortit en jetant un regard haineux sur de Lathélize.
— Vous vous êtes fait un ennemi, Monsieur, dit Ben-Aïad, prenez garde ! les gens sans esprit sont ordinairement vindicatifs et méchants.
— Celui-ci n’est point à craindre, répondit Alfred en souriant. Et, offrant son bras à l’étrangère, il descendit avec elle et la reconduisit jusqu’à son carrosse.
— Maintenant que je suis votre débitrice, lui dit-elle, vous ne refuserez sans doute pas de venir me voir. Vous saurez que je n’aime pas à attendre pour régler mes comptes. Alfred fit la promesse qu’on exigeait de lui, et quand Ben Ayed l’eut quitté, il monta lui-même dans sa voiture et rentra chez lui.
Le lendemain, au moment où Alfred se disposait à sortir, Joseph lui présenta une carte. C’était celle du consul.
— Fais entrer, dit-il. Joseph introduisit le consul dont les lèvres tremblaient de colère, malgré les efforts qu’il faisait pour se contenir.
— La visite que j’ai l’honneur de vous rendre, Monsieur, dit-il, ne doit pas vous étonner. Je suis certain que vous deviez m ‘attendre.
— Votre visite m’honore, répondit Alfred, mais je n’en vois pas encore le but. Dans tous les cas, soyez le bienvenu et veuillez-vous expliquer.
— Je pensais, Monsieur, que vous m’épargneriez cet ennui ; mais puisque vous exigez que je m’explique, je m’expliquerai. Vous vous souvenez sans doute de votre entrée dans la loge que nous occupions, la princesse et moi, hier soir, à l’Opéra?
— Parfaitement, Monsieur.
— Vous n’avez également pu oublier qu’à la suite de la conversation que nous avons engagée avec elle, j’ai été éconduit de la façon la plus ridicule qu’il soit possible d’imaginer?
— Permettez. Je me souviens très-bien de tout ce que j’ai dit dans cette soirée, mais je ne me rappelle pas qu’un ridicule quel conque ait été jeté sur vous.
— Vous ne me forcerez pas, je l’espère, à reproduire cette
scène! dit le consul d’une voix frémissante. J’ai été froissé et insulté devant
vous et j’ai le droit de vous en demander raison.
— Je conteste votre droit; aussi me permettrez-vous de ne pas accepter ce que vous me demandez.
— Vos motifs ? — Ils sont simples. Je n’accepte la responsabilité d’un acte que quand cet acte émane de moi ; or, comme je ne sache pas vous avoir insulté, je n’ai par conséquent pas … Le consul ne le laissa pas achever.
— Dans ce cas, Monsieur, je dis que vous n’êtes qu’un lâche ! — Vous regretterez, j’en ai la conviction, de m’avoir poussé à bout, dit Alfred avec un grand sang-froid. — J’attends vos ordres.
— Je prendrai les vôtres.
— Trouvez-vous alors, ce soir même, à quatre heures, à la porte de Saint-Mandé. — J’y serai avec mes témoins. Votre arme?
— Le pistolet.
— C’est entendu. Le consul fit un salut et sortit.
— Imbécile! murmura Alfred en haussant les épaules. Quand je pense que c’est son sot amour-propre qui lui fait commettre une pareille sottise ! Ce disant, il jeta un regard sur sa pendule et vit qu’il était dix heures.
— J’ai bien juste le temps de me procurer des témoins, se dit- il; il faut que je sorte à l’instant. Au moment où il allait sonner Joseph, celui-ci entra et lui remit une seconde carte.
— Le marquis de Boisguyon ? exclama de Lathélize avec étonnement ; mais je ne le connais pas ! N’importe, fais-le entrer. Après les salutations d’usage, de Boisguyon expliqua à Alfred qu’il venait le voir dans l’intention de s’entendre avec lui au sujet de la création d’un orphelinat. Il lui dit qu’il s’associait de tout cœur à ses œuvres charitables et qu’il était tout prêt à lui prêter son concours. Il termina en disant qu’il serait heureux qu’Alfred lui indiquât le moyen de dépenser convenablement ses revenus.
— Je suis flatté, Monsieur, que vous ayez songé à me venir me trouver dans cette circonstance, répondit Alfred ; je me mets dès à présent à votre disposition. Seulement je dois vous dire que je suis si pressé en ce moment qu’il m’est impossible de vous accorder un plus long entretien. Vous allez en juger vous-même. De Lathélize rapporta alors en quelques mots ce qui s’était passé entre lui et le consul.
Le marquis répliqua :
— Eh! mais, Monsieur, votre premier témoin est tout trouvé, si toutefois vous voulez me faire l’honneur de m’accepter comme tel.
— Volontiers, Monsieur le marquis. Dans ce cas, si vous voulez accepter une place dans mon coupé, nous nous mettrons tout de suite en quête de trouver le second. — Avec plaisir, Monsieur, répondit de Boisguyon. Une demi-heure après, Alfred se présentait chez un de ses amis, qui consentait à le suivre, et tous trois allaient déjeuner, en attendant qu’il fût l’heure du rendez-vous.
— Soit alors, vous l’aurez voulu, dit Alfred. Et, étendant
le bras dans la direction de la poitrine de son adversaire, il l’atteignit au
cœur. Celui-ci tomba foudroyé. On le transporta aussitôt dans la voilure qui
l’avait amené, et quand les témoins eurent déclaré que tout s’était loyalement
passé de part et d’autre, Alfred reconduisit son ami ainsi que de Boisguyon, à
leurs domiciles respectifs ; puis après, avoir quitté ce dernier et lui avoir
fait promettre de revenir le voir, il remonta dans son coupé et lança à son
groom l’adresse de Ben-Aïad ! L’étrangère ne témoigna aucun chagrin en
apprenant la mort du consul, mais elle fut épouvantée en songeant au danger
qu’avait couru De Lathélize pour lequel elle éprouvait déjà un sentiment
qu’elle cherchait vainement à combattre. Ce sentiment grandit même si vite avec
le temps qu’elle en vint au point de laisser entrevoir à Alfred le désir
qu’elle avait de l ‘épouser ; mais celui-ci ne l’eut pas plutôt devinée, qu’il
devint tout à coup plus circonspect à son égard.
Le souvenir de Rose occupait une si grande place dans son
esprit, qu’il en arriva à ne plus rendre visite à Ben-Aïad qu’à de rares
intervalles et finit, plutôt que de feindre un amour qu’il n’éprouvait pas, par
rompre toutes relations avec elle.
Quand l’étrangère fut convaincue qu’Alfred l’avait abandonnée, elle en conçut un chagrin si violent que lie résolut de se détruire. Un certain jour, tout Paris apprit que la belle Ben Ayed s’était empoisonnée par désespoir d’amour. Cette fin tragique et inattendue frappa chacun de stupeur. Les uns blâmèrent énergiquement De Lathélize et l’accusèrent d’être l’auteur de la mort de Ben-Aïad; d’autres, plus enthousiastes pour les faits scandaleux, se plurent, au contraire, à faire son éloge. Quoi qu’il en fut, ce fatal événement jeta un nouveau voile de tristesse sur l’âme déjà si éprouvée d’Alfred et ce ne fut que long temps après qu’il parvint à l’oublier.
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