Un Tunisien à la cour du Roi Louis Phillipe de France en 1831

Au lendemain de la prise d’Alger le 5 juillet 1830, l’armée française, malgré la puissance du corps expéditionnaire (450 navires dont plus de 100 bâtiments de guerre,83pièces d’artillerie de siège, 27 000 marins, 37 000 soldats), se trouva confrontée à des difficultés à tenir le territoire algérien. Face à ces difficultés, l’idée de placer une partie du territoire sous l’autorité du bey de Tunis germa ainsi dans l’esprit du général Clauzel, commandant en chef de l’armée d’Afrique (août 1830-février 1831). Ces problèmes liés à la conquête avaient conduit Clauzel à songer à créer une sorte d’Etat musulman dans les beyliks de Constantine et d’Oran que l’on confierait à des princes tunisiens en contrepartie du paiement d’un tribut comme gage de vassalité à l’égard de la France. Des pourparlers de négociations ont alors étaient entamés entre la France et le Royaume de Tunis. C’est le Général Mohamed Ben Ayed munit des pleins pouvoirs qui sera choisit par Hussein Bey pour le représenter au près du Roi des Français Louis-Phillipe. Les pourparlers se termineront par un refus du Roi français estimant que les accords n’était pas en faveur de la France.

Le Général Mohamed Ben Ayed lors de son ambassade au près du Roi Louis-Phillipe en 1846.

Le Général Ben Ayed au Bal des Tuileries.

Après un long voyage de Tunis à Paris qui avait duré plusieurs mois, le général était convié à un bal aux Tuileries. Depuis quelques jours on parlait des magnifiques préparatifs de ce bal, et l’on enviait dans les salons de la capitales le plaisir des personnes invitées à cette fête qui devait, disait-on à l’avance, surpasser par son éclat les bals précédents. La soirée du mercredi arrive enfin, les équipages se pressent dans la cour des tuileries, les salles se remplissent, et l’on voit les uniformes brillants d’or ou d’argent se mêler à des toilettes resplendissantes de fleurs et pierreries. Cette réunion offrait un mélange de toutes les classes de citoyens, de pairs et de députés, d’officiers de l’armée, de la garde nationale et aussi de simple gardes nationaux, les personnages étrangers fixèrent bientôt l’attention; les regards se portaient sur l’envoyé de Tunis le Général Sidi Mohamed Ben Ayed, remarquable par la physionomie immobile d’une superbe tête et revêtu d’un manteau africain drapé à l’orientale, lorsque les costumes hongrois des fils de M. d’Appony vinrent éblouir les yeux par leur richesse et contraster avec la simplicité de notre milice citoyenne.

Récit du Comte D’Appony.

Le comte D’Appony.

“Au dernier concert à la Cour, je me suis trouvé debout à côté du Roi, le Dey d’Alger se trouvait non loin de nous.
C’est incroyable, me dit Sa Majesté, tout ce qu’on voit de nos jours voilà le Dey d’Alger à la Cour du Roi de France.
– Je viens de faire la même réflexion, Sire.
– Peut-être, continua Sa Majesté, dira-t-il comme le doge de Gênes a Louis XIV «Ce qui m’étonne le plus, c’est de m’y voir. »
Je souris et me tus. Le ministre d’Argout, meilleur courtisan que moi, prit la parole et dit au Roi:
– Le doge de Gênes avait raison de le dire, mais quelle différence entre le siècle despote de Louis XIV et celui d’aujourd’hui ! Les étrangers voient chez nous des choses bien plus utiles et plus étonnantes que le château de Versailles. Je crois donc que le dey d’Alger n’a jamais dit et pas même pensé pareille chose.
– Je l’espère, dit le Roi avec un air satisfait.
Et l’on changea de conversation. Le dey d’Alger avait avec lui, outre son interprète, un homme grand, à larges épaules, à la figure noire, sévère et pittoresque. L’interprète nous dit que c’était le Bourreau honoraire du dey.
En fait de personnages curieux, il y avait encore, à ce concert, l’envoyé de Tunis, avec sa grande couverture de laine blanche, dans laquelle il est enveloppé de la tête aux pieds, et son neveu, charmant garçon de dix à douze ans avec des yeux noirs de toute beauté.

Un autre jour le Comte d’Apponyi nous raconte: “Au moment où j’entrais dans la salle du trône, j’aperçus de loin la belle duchesse de Vallombrosa que je n’avais pas encore vue depuis son mariage, et je voulus m’approcher d’elle pour lui faire mes compliments. Ne voilà-t-il pas que ce grand bourreau de Turc me barre le chemin de concert avec son maître. Moi, ne pensant pas plus aux Turcs en ce moment qu’au Grand Mogol, l’aspect de tous ces turbans et poignards (l’envoyé de Tunis s’y trouvant aussi avec son neveu) me fit reculer de trois pas au moins; ces messieurs en profitèrent pour me faire des révérences jusqu’à terre; j’en fis de même, en les imitant, ce qui fit sourire les dames qui nous entouraient...”

Le Général Mahmoud Ben Aiad en tenue tribal par E. DELACROIX.

Le présent article a pour objet de retranscrire des documents authentiques et inédits dans la plupart sont conservés aux archives nationales tunisiennes de la mission du Général Mohamed Ben Ayed.

Hussein Bey à Clauzel. Le7 mars 1831.

Nous avons accepté vos propositions relatives à la province d’Oran, malgré les lourdes charges qui en résulte, pour nous. Nous avons consenti ces sacrifices, comme vous le savez, en raison des communications venues de France et afin de respecter votre parole et de sauvegarder votre prestige, inspiré que nous étions par notre amitié sincère. De votre côté et au nom de cette même amitié, vous devez déployer tous vos efforts pour que les clauses relatives à Oran soient admises dans les conditions que celles de Constantine, puisque nous avons, pour notre part, acceptés comme telles, conformément à vos désir. Il vous appartient donc de faire adopter par la France les accords que nous avons conclus. Nous sommes du reste convaincu que la France n’acceptera jamais que nous soyons lésé; sa politique traditionnelle et son amitié nous en sont garantes.

Nous avons décidé d’envoyer prochainement auprès du gouvernement français, le respectable, très-accompli et très sage, notre fils Mohamed Ben Ayed, l’un des meilleurs serviteurs de notre gouvernement. Il aura mission de discuter les conditions proposées par votre gouvernement et il sera muni de la lettre adressée par vous au Ministre, à ce sujet. En la chargeant de cette mission, nous sommes sûr que votre amitié vous dictera de le seconder efficacement dans le but de l’accomplir convenablement. Nous sommes tranquille sur ce point, sachant que nous pouvons compter sur vos efforts dans le sens de nos intérêts communs…

Image:Hussein II Bey.jpg
Hussein Pacha Bey.

Clauzel à Hussein Bey. Le 8 Avril 1831.

Prince,

j’ai reçu la lettre que votre Altesse m’a fait l’honneur de m’écrire. Les explications verbales et écrites que j’ai données à mon gouvernement ont levé toutes les difficultés qui s’étaient élevées au sujet des conventions que j’ai conclues avec vous pour les Beyliks de Constantine et d’Oran. Ces conventions seront soumises seulement à une nouvelle rédaction qui sans rien changer aux stipulations leur
donnera une nouvelle garantie; en attendant vous devez continuer à exécuter ce qui a été convenu et vous ne trouverez aucun obstacle de la part de l’autorité française. J’ai prévenu mon gouvernement de la prochaine arrivée à Paris de Sidi Mohamed Ben Ayed que vous me dites avoir désigné pour remplir cette mission. Il sera reçu avec les égard dus à l’envoyé d’un prince ami sincère de la France et votre Altesse peut compter qu’en mon particulier je m’empresserai de faire tout ce qui dépendra de moi pour faciliter le succès de sa mission et lui prouver le cas que je fais de votre amitié.

Je prie votre Altesse d’agréer l’hommage de mon respect.


Le lieutenant Général Compte Clauzel
Paris, 8 avril 1831.

François de Gairouis à Hussein Bey.

Marseille Du 17 avril 1831

Expédition d’Afrique
Subsistances Militaires F.A.S

Altesse Royale,

Le lieutenant Général Clauzel m’a adressé la dépêche ci-jointe avec ordre de la faire parvenir à V.A par première occasion: je m’empresse de profiter de celle d’un navire qui partira demain pour Tunis pour faire cet envoi à V.A.

Sidi Mohamed Ben Ayed qui est entré dans le Lazaret il y a deux jours, sera reçu à sa sortie par ma maison de Marseille et de Paris avec les égard et les attentions qu’un envoyé de V.A mérite : Les respects et tous les services que nous rendrons à Sidi Mohamed, nous les considérons comme rendus personnellement à V.A.
Je supplie votre V.A. de vouloir bien agréer la nouvelle assurance du profond respect et du dévouement de son très humble et très obéissant serviteur.

François de Gairouis

Notes Clauzel du 4 Mai 1831.

“Note Clauzel” du 4 mai 1831.
Le maréchal de France Clauzel.

A Son Altesse Hussein Pacha, Bey de Tunis.

Du 15 Mai 1831

Prince,

J’ai reçu la lettre que Votre Altesse m’a fait l’honneur de m’écrire le 23 -ème jour du Ramadan et je le remercie des témoignages nouveaux qu’Elle me donne de sa précieuse amitié.

J’ai lu avec intérêt et satisfaction les détails que Votre Altesse me donne sur les mesures qu’Elle a prises pour assurer l’exécution des stipulations conclues au sujet du Beylik de Constantine, et je ne doute pas qu’elles ne soient couronnées d’un plein succès.

Je suis heureux d’avoir à vous confirmer ce que je vous ai fait, savoir que le Gouvernement français approuve pleinement les bases de nos conventions de votre Altesse a fait preuve de discernement en comptant qu’elles auraient leur plein et entier effet. Il en est de même de nos arrangements relatifs à Oran.

Le respectable envoyé qui va à Paris de la part de Votre Altesse recevra de moi l’accueil que je réserve à toutes les personnes que vous honorerez de votre bienveillance et je lui prêterai tout l’appui qui dépendra de moi pour la réussite de sa mission.

Je serai probablement de retour à Alger dans le courant du mois d’Octobre et je me ferai plaisir de rendre plus fréquentes mes relations avec vous. Je présente à Votre Altesse le nouvel hommage de mon respect.

Ecrit à Paris, le 8 mai 1831.

Le Lieutenant Général
Signé: Clauzel

PS: J’apprends avec plaisir à Votre Altesse que ma demande les ministres de la guerre et de la marine ont ordonné qu’il fut fait une expédition sur Stora pour faciliter les opérations sur Constantine et procurer une diversion avantageuse.

Signé: Clauzel.

François de Gairouis.

Marseille le 15 Mai 1831

Excellence,

Le Lieutenant Général Clauzel m’a adressé avec ordre de la remettre moi-même la lettre pour Son Altesse le Pacha Bey, dont j’ai l’honneur de remettre l’original à S.A très prochainement. Le général m’écrit qu’il attend Sidi Mohamed Ben Ayed à Paris avant de partir pour ses terres; il contribuera puissamment au succès de sa mission.

Sidi Mohamed partira le 18 courant avec Sidi Hassouna et mettra douze jours à faire son voyage. J’aurais accompagné jusqu’à Paris Sidi Mohamed si j’en n’avais été bien sûr qu’il sera reçu on ne peut plus honorablement par les personnes à qui je me fais un plaisir de le recommander; et je me doute nullement du succès de sa mission à laquelle je m’honorerai d’avoir contribué: je l’ai fait avec d’autant plus de satisfaction, que je reconnais les réclamations de S.A. comme très fondées et que j’ai cru dire quelque chose qui pourrait être agréable à S.A. ainsi qu’à votre Excellence.

Veuillez agréer, Excellence, la nouvelle assurance de mon respect et de mon dévouement.


François de Gairouis.

A son Altesse le Prince Bey de Tunis.

Du 21 octobre 1831.

Magnifique Seigneur,

je remet à Sidi Ben Ayed, votre envoyé en France, avec la présente dépêche, exemplaire du mémoire que je viens de faire imprimer, et où Votre Altesse verra que je suis toujours ferme dans les arrangements que j’ai fait avec elle, et que me loue de toutes les relations que j’ai eues avec Sa cour.

J’espère que Votre Altesse verra que je suis toujours ferme dans les arrangements que j’ai faits avec elle, et que je me loue de toutes les relations que j’ai eues avec Sa cour. J’espère que Votre Altesse y trouvera un nouveau témoignages des hauts sentiments qu’elle m’a inspirés.

Je la prie d’agréer l’hommage du respect avec lequel je me dis, de Votre Altesse, Magnifique Seigneur.


Le très humble et très obéissant serviteur,
Le maréchal de France,
Clauzel.

Le Général Sidi Mohamed sera envoyé une deuxième fois en France en tant que ambassadeur de Ahmed Bey en 1846.

Par Kais Ben Ayed

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