Les frères Hamida et Regeb Ben Ayed durant l’épidémie de peste en 1784/1785

Vente de huit sandals ou soit bateaux de construction tunisienne passée par Sidi Regeb Ben Ayed Douanier en faveur des sieurs Louis d’Audibert Caille et Joseph Cesar Bellier députés, agissants pour la Nation.

L’an mil sept cent quatre vingt quatre (1784), le quatrième jour de mois d’Octobre avant midi, par devant nous chancelier du consulat de France en ce Royaume de Tunis soussigné et témoins bas nommés fut présent Sidi Regeb Ben Ajad, caïd du district de Soliman et Grand Douanier de cette ville dans laquelle il fait sa résidence ordinaire, lequel de son gré et libre volonté, a déclaré, et le déclare par les présentes, avoir vendu et transporté dès maintenant aux sieurs Louis d’Audibert Caille et Joseph César Bellier députés en exercice de la nation française résidente en cette échelle, ici présents, stipulant et acceptants huit sandals ou soit bateaux de construction tunisienne servant ordinairement aux chargements et déchargements des navires marchands avec tous les agrès, apparaux et ustensiles qui leurs sont propres pour être en état de navigation lesquels sandals le dit vendeur a fait apparaitre lui appartenir en propre et promet garantir de tout trouble et empêchement généralement quelconques la dite vente a été faite et passée pour les prix et somme de six mille quatre cent cinquante piastres de Tunis: savoir; 600 piastres, pour prix du sandal que montait ci devant le Rais Mashoud Maabouli, actuellement ancré à Soliman; 650 piastres pour prix de celui que montait ci-devant le Rais Mohamed Maabouli, actuellement ancré au dit Soliman: 800 piastres, pour celui que montait ci-devant le Rais Mohammed Hammami, actuellement ancré au dit Soliman; 700 piastres pour prix de celui que montait ci-devant le Rais Hajat actuellement ancré à la marine; 900 piastres pour prix de celui que montait ci devant de Rais Assan Heggiage, actuellement ancré à la marine; 800 piastres pour prix de celui que montait ci-devant le Rais Ali El Maabouli actuellement ancré à la marine; 900 piastres pour prix de celui que montait ci devant le Rais Mubarec Maabouli, actuellement ancré à la marine; enfin 1100 piastres pour prix de celui que montait ci-devant le Rais Meshoud Boulaba actuellement ancré à Porto Farine; le tout faisant comme il a été dit ci dessus la somme de six mille quatre cent cinquante piastres de cette monnaie que le dit Sidi Regeb Ben Ayed vendeur confesse et reconnait avoir reçu tout présentement comptant, au vu de nous Chancelier et des témoins sous nommés, des mains des Sieurs Louis d’Audibert Caille et Joseph César Bellier députés en exercice de la nation française, auxquels il a fait sa quittance et décharge en la meilleure forme possible, et en faveur desquels le dit vendeur, content et satisfait, s’est démis et dépouillé des huit sandals avec tous les agrès, apparaux, ustensiles qui leurs sont propres pour être en état de navigation aux fins d’en faire jouir et disposer les dits acquéreurs à leurs plaisir et volonté comme chose leur appartenant, a commencé la jouissance de la date du présent acte, promettant formellement, le dit Sidi Regeb Ben Ayad vendeur de leur être tenu de toute garantie et recherche de la part de qui que ce puisse être, à ce jour l’obligation, de tous ses biens présent et avenir. Les dits Sieurs Louis d’Audibert Caille et Joseph César Bellier, députés en exercice, acquéreurs ont déclarés avoir fait l’achat de ces huit sandals, aux fins et la délibération de la nation en date de ce jour, de ses propres deniers et pour son propre compte, suffisamment autoriser à cet effet par Monsieur d’Esparron Vice-consul chargé des affaires du Roy auprès de son Excellence le Pacha Bey de Tunis et de tout acte acte fait et publié au dit Tunis en Chancellerie en présence de Monsieur James Traill consul de Sa Majesté Britannique et de Monsieur Arnold Henri Nyssen consul de leur leurs hautes puissances résidents en cette ville, témoins requis, appelé à soussigné avec Sidi Regeb Ben Ajad, vendeur, les sieurs Louis d’Audibert Caille et Joseph César Bellier Députés en exercice acquéreurs et nous chancelier présent original;
Signataires

James Traill
Arnold Henri Nyssen
Louis d’Audibert Caille
Joseph César Bellier
Sidi Regeb Ben Ayed

Sceau de Sidi Regeb Ben Ayed, Grand Douanier de Tunis.

Sont signataires du contrat les consuls britannique et hollandais de l’époque Messieurs James Traill, et Arnold Henri Nyssen. Leur présence pourrait indiquer que cette transaction était importante pour les intérêts européens. Il ne s’agit donc pas d’une simple opération commerciale, puisqu’en qu’en y mentionne dans le contrat qu’acceptant Sidi Regeb Ben Ayed, il promettait de garantir “de tout trouble et empêchement généralement quelconques“.

Afin de remettre les choses dans leur contexte, en 1784, Hammouda Pacha était au pouvoir depuis deux années et le Royaume de Tunis est ravagé par la Peste. Au mois d’Avril, un capitaine français conduit en rade de La Goulette 150 pèlerins musulmans venus d’Alexandrie. Dix personnes sont mortes de la peste à bord du bâtiment. Le capitaine feint
de l’ignorer pour débarquer ses passagers. Un autre bâtiment français, chargé de pèlerins de la même provenance, arrive à point nommé pour empêcher cette imprudence criminelle C’est déjà trop tard. Dès les premiers jours d’avril, la peste s’est déclarée dans le pays. Elle livre alors plusieurs assauts, progressivement plus meurtriers.

Lucette Valensi dans son article de 1969, Calamités démographiques en Tunisie et en Méditerranée orientale aux XVIIIe et XIXe siècle nous décrit “qu’au premier, qui commence au mois d’avril, tout le pays, et singulièrement les ports, sont rapidement atteints par le fléau. L’hôpital des esclaves, qui accueille les chrétiens, est bientôt plein. Puis la maladie accorde quelques jours de répit au mois de juin. Elle recule, dans la capitale comme dans le sud. Mais c’est pour redoubler de vigueur quelques jours plus tard : elle enlève 90 personnes par jour à Tunis. Elle fauche la population avec la même ardeur dans le Sahel, à Sousse, Monastir, Djemmal, où le nombre de morts s’élèverait à 300 par jour.

L’épouvante est générale; les consulats se ferment sur leurs administrés, pour couper toute relation avec les populations touchées. Pourtant, aux premiers signes d’accalmie, les portes s’ouvrent, et l’on commence à douter du diagnostic, ou du caractère contagieux de la maladie. Laissons parler ce correspondant : c’est, dit-il, « une maladie violente avec bubons, charbons et tous les autres caractères de la peste, mais heureusement pas assez
répandue ni contagieuse pour obliger les francs à se renfermer ». Et il se flatte qu’on en aura été quitte pour la peur. Au contraire, le voyageur Desfontaines, « docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, qui a voulu voir lui-même plusieurs malades », est moins optimiste et « persiste toujours à croire que la maladie qui règne est la peste ».

Son pessimisme est-il fondé ? La maladie paraît décliner au mois de juillet, ne faisant plus que 12 à 18 victimes par jour dans la capitale. En août, on ne signale aucun accident, ni à Tunis ni sur la côte, et toutes les catégories de la population paraissent épargnées, juifs, maures ou chrétiens. La régression du mal contagieux dans la capitale se confirme en septembre et octobre. Mais il frappe ailleurs : dans la région du Kef, où il aurait fait disparaître un tiers des habitants, au large des côtes tunisiennes, notamment dans l’escadre vénitienne stationnée devant Sousse.

Dès la fin du mois d’octobre, la maladie prend une nouvelle vigueur, et ce troisième assaut est le plus long et le plus impitoyable. A Tunis, chaque jour voit mourir plusieurs centaines de personnes . La capitale aurait déjà perdu 18 000 habitants depuis le début de l’épidémie. Elle exerce ses ravages à l’ouest, à Bizerte, où elle enlève 50 à 80 personnes par jour pendant tout le mois de novembre; à Porto Farina; dans la région de Béja. Les campagnes sont aussi désolées que les villes.”

L’épidémie atteindra Djerba au début de l’année 1785. Elle toucha en premier lieu Houmt-Souk, précisément Taourit, puis Ajim, ensuite elle se propagea dans toute l’ile en terminant par les villages de Ouersighen, Cedouikech, Cedriane enfin Temlal. Il y eu de nombreux morts parmi les habitants, a tel point qu’on ne trouvait plus d’hommes pour le transport et l’enterrement des victimes. Dans certains villages ce sont des femmes qui durent transporter les morts sur des montures, ils étaient parfois enterrés sans prière.

Le caïd gouverneur de l’ile était Sidi Hamida Ben Ayed frère de Sidi Regeb. Il se confina dans sa résidence de Cédriane sans en sortir durant six mois ou plus. On ne recensa aucunes victimes parmi ses enfants, ses femmes et ses odalisques vivants dans l’enceinte du palais. Mais il eut de nombreuses victimes parmi ses serviteurs qui vivaient à l’extérieur du Palais.

Extrait d’une lettre du lettre du Cheikh Mohamed Ben Youssef Mosebi.

L’épidémie perdura jusqu’en juillet 1785, puis elle commença à se contenir petit à petit. Il ne resta plus que quelques cas dans les villages de Sedouikech et Cédriane qui furent les derniers atteints en fin d’année.

Texte extrait et traduit d’une lettre du Cheikh Mohamed Ben Youssef Mosebi.

Kais Ben Ayed

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