Le parcours d’un esclave maltais: le capitaine Gio. Stafrachi.

En plongeant dans les registres de l’archive consulaire française à Tunis du 18-éme siècle, on ne peut rester indifférent face au curieux périple d’un maltais nommé Giovanni Stafrachi, qui se trouvait être en 1788, lorsque la course et l’esclavage étaient d’usages de part et d’autre de la Méditerranéen, esclave du puissant caïd de Djerba, Sidy Hamida Ben Ayed.

Les registres nous apprennent que Giovanni Stafrachi avait un frère nommé Guiseppe, à qui il demanda de venir de Malte à Djerba quelques mois plutôt pour le remplacer. En devenant otage, le caïd avait accordé à Giovanni de “vaquer à ses affaires” à Malte. Quoique l’on puisse penser de cette manœuvre, le maltais n’abandonna pas son frère puisqu’après 15 mois, il était de retour à Djerba. Une fois la mission accomplie Giuseppe, illettrée se rendait à Tunis au fondouk des français où il consignait toute l’affaire en chancellerie déclarant ce qui suit.

Déclaration du nommé Giuseppe Stafrachi maltais, en faveur de son frère Giovanni Stafrachi, esclave de Sidy Hameida Ben Ayat, caïd de Gerbé.
L’an mille sept cent quatre vingt huit, et le premier jour du mois de Décembre avant midi, par devant nous chancelier du consulat général de France en cette ville et royaume de Tunis, soussigné et des témoins bas nommés, a été présent le nommé Giuseppe Stafrachi maltais, frère de Giovanni Stafrachi esclave de Sidy Hameida Bin Ayat Caïd de Gerbé, lequel a déclaré et déclare par ces présentes qu’il s’est rendu volontairement et sans contrainte de Malte à Gerbé, en qualité d’otage, au lieu et place de son dit frère pendant l’espace de quinze mois, pour que celui-ci, avec la permission de son patron, fut libre de se rendre à Malte et y vaquer à ses affaires, et que son dit frère, esclave, ayant été reconnaissant du service qu’il lui a rendu, il promet de ne lui faire aucune demande à ce sujet, ni de le rechercher pour raison de ça, et nous a requis acte de la présente déclaration que nous lui avons concédé, tout et publié au dit Tunis en cette chancellerie du consulat de France, en présence des Sieurs Dominique Arnaud et François Louis Niaire, témoins requis et signés avec le dit déclarant et nous dit chancelier fait le dit Giuseppe Stafrachi ne sachant écrire a fait une croix ./.

Les Stafrachi en déclarant la situation aux autorités françaises espéraient-il obtenir une aide quelconque ?

En tout état de cause, deux années plus tard, le 2 novembre 1790, Giovanni Stafrachi regagnait sa liberté en ayant rempli “ses obligations” comme il le déclare dans le contrat de rachat ci-dessous. On y apprend qu’avec le concours d’un négociant génois Nicolas Borzone, ils parviennent à racheter la liberté de deux autres esclaves maltais, sous conditions de remboursements des sommes avancées.

Contrat de rachat des nommés Angelo Broll et Giovanni Ferrugi Maltais ci-devant esclaves de Sidy Hamida Ben Ayed.
L’an mille sept cent quatre vingt dix et le deuxième jour du mois de novembre avant midi, par devant nous chancelier du consulat général de France en cette ville et Royaume de Tunis, soussigné et des témoins bas nommés, sont comparus les nommés Angelo Broll et Giovanni Ferrugia Maltais, ci-devant esclaves de Sidy Hamida Ben Ayat Caïd de Gerbé lesquels nous on dit et déclaré avoir été racheté par l’entremise du Sieur Nicolas Borzone négociant génois, résidant en cette ville, en vertu de son obligation en vers Sidy Ahmed El Chabba, procureur fondé de Sidy Hameida Bin Ayat, de la somme de mille écus de Malte payables sous les termes de deux mois et demi, pour le rachat des deux sus dit esclaves, laquelle obligation est en date du 30 octobre de cette présente année et de plus la somme de cinq cent piastres de Tunis, le sieur Giovanni Stafrachi, ici présent déclare avoir avoir fait son obligation en vers le sus dit Hameida Ben Ayat, sous la condition que les deux sus dits esclaves lui rembourseront la dite somme à Malte, vingt jours après avoir eu l’entrée et en outre la somme de cent trente sept piastre de Tunis pour les donations d’usage aux officiers du Barde, et ceux de la Marine, frais de leur passage et ce ce présent acte que le sieur Nicolas Borzone s’oblige à payer, fait et publié au dit Tunis en cette chancellerie de France en présence des sieurs Joseph Etienne Farmin et Jacques Bouzige, témoins requis et signé avec les dits Angelo Broll et Giovanni Ferrugia, le dit Giovanni Stafrachi, le sieur Nicolas Borzone et nous dit chancelier à l’original, les dits Angelo Broll et Giovanni Ferrugia ne sachant écrire … ont fait chacun une croix .

On apprend aussi, qu’un mois et demi plus tard, le 17 décembre 1790, Giovanni Stafrachi affrète la tartane Le Saint-Antoine commandé par le capitaine Jacques Antoine Barberousse de la Ciotat pour un voyage de la Goulette à Malte où son voyage prendra fin.

Affrétement de la Tartane Saint Antoine Capitaine Jacques Antoine Barberousse de la Ciotat, en faveur du nommé Giovanni Stafrachi Maltais.
L’an mille sept cent quatre vingt dix et les dix septième jours du mois de décembre avant midi, par devant nous chancelier du consulat général de France, en cette ville et Royaume de Tunis, soussignés les témoins bas nommés, fut présent le capitaine Jacques Antoine Barberousse de la Ciotat, commandant la Tartane le Saint-Antoine, actuellement ancré en cette rade de la Goulette, lequel cas de son gré et libre volonté l’a affrété d’un parapet à
l’autre de la portée qu’elle se trouve, en état de navigation sous les réserves du carré d’estive et autres lieux d’usage pour l’eau, câbles provisions et équipage au nommé Giovanni Stafrachi, maltais, ici présent en acceptant aux conditions et pactes suivant:
1) le présent voyage sera de cette rade de la Goulette à Malte où il sera terminé accordant le dit Capitaine à son affréteur quinze jours courant d’Estérie qui commencerons à compter du jour qu’il aura mis son dit bâtiment en rade, et deux jours de sur Estérie, à raison de deux sequins zermaboubs par jours, payables journellement et l’oblige de mettre à la voile, si le temps le permet, dès que son affréteur lui aura remis ses expéditions.

2) Tous les frais concernant les chargements seront acquittés par le dit affréteur et ceux attenant au bâtiment par le capitaine qui placera cinq passagers sur la courante, et donnera une place à son dit affréteur dans la grande chambre.
3) Le dit affréteur ne pourra charger le bâtiment qu’a vue navigation et de façon que la perçante soit au dessus de l’eau.
4) Le présent affrètement est fait et passé pour le prix et somme de cinquante sequins zermaboubs du Caire de poids et bon or, ou leur juste valeur en écu de Malte, à raison de trois écus pour chaque sequin zermaboubs et cinq pour cent de chapeau, et le dit affréteur est convenu avec le dit capitaine qu’il partageront entre eux le compte à venir, le fret des denrées qu’ils pourront trouver à embarquer d’ailleurs des particuliers en sus les soixante cinq ou soixante dix caffis de carambole que le dit sieur nolisataires doit embarquer ainsi d’accord et convenu entre les parties sous … promesses, obligatoires, renonciatrice et ferment, dont acte fait et publié au dit Tunis en cette chancellerie en présence des sieurs Joseph Etienne Farmin et Jacques Bouziges témoins requis et signés avec les parties et nous dit chancelier ./.

Après avoir vécu une telle expérience, il serait un impensable que Giovanni Stafrachi s’aventurerait une nouvelle fois aux abords de Tunis. Et pourtant, le voici moins d’une année plus tard, le 6 octobre 1791 de nouveau dans la chancellerie du fondouk des français mais pour y faire cette fois-ci affaire avec son ancien patron Sidi Hameida Ben Ayed. Le maltais achetait par l’entremise d’un des hommes d’affaire du caïd, un pinque génois prise faite par l’un de ses corsaires pour la somme de cinq cent sequins comme le mentionne le contrat ci-dessous.

Contrat de vente d’un pinque appartenant à Sidy Hamida Bin Ayat (Ben Ayed), caïd de Gerbi, en faveur du Sieur Giovanni Stafrachi Maltais.
L’an mille sept-cent quatre-vingt-onze et sixième jour du mois d’octobre après-midi. Par devant nous Chancelier du Consulat Général de France en cette ville et Royaume de Tunis, soussigné, et des témoins bas nommés, est comparu Sidy Hameida bin Aly Cassem, homme d’affaire de Sidy Hameida Bin Ayat, a cédé, vendu et transporté au sieur Giovanni Strafachi Maltais, icy présent, stipulant et acceptant, savoir, un pinque Napolitain à deux mats, de la portée d’environ deux cents caffis mesures de ce Royaume avec tous ses agrais et apparaux, appartenant au dit Sidy Hameida Bin Ayat, prise faite par un corsaire de cette Régence, lequel pinque a été vendu pour le prix et somme de cinq cent sequins « zermaboubs », franc et libre de tous droits quels conques, laquelle dite somme de cinq cent sequins « zermaboubs » le dit Sidy Hameida Bin Cassem déclare et confesse avoir reçu coût présentement comptant en sequins « zermaboubs », au vû de nous dit Chancelier et Témoins du dit Giovanni Stafrachi Maltais acquéreur, et le dit Sidy Hameida Bin Aly Cassem en sa sus dites qualité et au nom de Sidy Hameida Ben Ayat caid de Gerbé, s’est démis et dépouillé du dit pinque, et en a bien et … investi le dit Sieur Giovani Strafachi Maltais acquéreur, pour en prendre possession et jouissance dès ce jour, et en faire et disposer à son plaisir et volonté, comme chose lui appartenant en propre, moyennant la sus ditte somme de cinq cent sequins « zermaboubs » qu’il reçut et dont il tient quitte le dit Sieur Giovanni Stagrachi Maltais acquéreur, avec promesse de garantie, et qu’il ne lui sera jamais fait aucune recherche à raison de ce, sous l’obligation de tous ses biens présent et avenir. Dont acte, fait et publié au dit Tunis, en cette Chancellerie de France, en présence des Sieurs Jacques Bouriges Victor Bonhomme, témoins requis et signés avec le dit Sidy Hameida Bin Aly Cassem, le Sieur Giovanni Strafachi acquéreur et nous dit Chancelier.

Nous n’avons trouvé aucune trace de la précédente vie de Giovanni Stafrachi. Son nom n’apparait plus dans les registres consulaires français après avoir acheté le pinque du caïd de Djerba. On pourrait cependant penser qu’avant sa capture le maltais aurait été membre d’équipage ou capitaine, hypothèse qui se confirme car son nom réapparait dans les registres du port de Trieste en Italie en 1814. On y fait apprend que le capitaine Giovanni Stafrachi fait son entrée arrivant de Smyrne à bord d’un brigantin sous pavillon anglais et portant le nom d’Ulisse…

Extrait de Portata de’ bastimenti arrivati nel Porto-Franco di Trieste

Ce qui est certain c’est que tout comme Ulysse, le capitaine Giovanni Stafrachi aura été profondément marqué par son périple et son passage sur l’ile des lotophages, Djerba.

Kais Ben Ayed

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