La caserne husseinite ou Saussier.

La caserne husseinite appelée aussi caserne d’El Gorjani est situé dans le quartier du même nom. Elle est occupée aujourd’hui par la brigade criminelle. Une merveille architecturale jadis dans un état désastreux aujourd’hui. Ci-dessous un texte extrait de la Revue Tunisienne de 1908 qui retrace son histoire et nous en fait une belle description.

“Lorsque les troupes françaises arrivèrent en Tunisie, des sept régiments d’infanterie organisés par Ahmed-Bey, le véritable créateur de l’armée tunisienne, déjà rêvée par son père Moustapha, le premier régiment occupait en permanence une grande caserne située dans la partie haute de Tunis, (El Gorjani) à l’extrémité de la place aux Chevaux, près de l’angle sud-ouest de l’enceinte et désignée sous le nom de « caserne Husseinite ».

Place des chevaux et caserne Saussier.

Des la fin de 1881, le Gouvernement beylical mettait cet établissement a la disposition du corps d’occupation, pour y installer trois bataillons et deux compagnies d’infanterie, avec un détachement du génie et la section de télégraphie militaire.

En raison de son ancienne affectation, ce casernement prit le nom de « caserne du 1er Régiment » et, peu après, celui de « caserne du premier Tunisien », en même temps que l’on baptisait, pour la même raison, «caserne d’Artillerie » le quartier qu’occupent aujourd’hui, en dehors de la ville, le 4° régiment de chasseurs d’Afrique et le train, actuellement « quartier Forgemol ».

Ces appellations, qui pouvaient donner lieu à des confusions regrettables, devaient être considérées comme provisoires. Sur la proposition du Service du Génie, le Ministre de la Guerre décida, le 2 juin 1896, que la « caserne du 1er Tunisien » porterait dorénavant le nom de M. le général Saussier, qui le premier avait commandé en chef le Corps d’occupation.

Cette caserne, affectée aujourd’hui a l’Etat-Major (en 1908) et à un bataillon du 4e régiment de zouaves, ainsi qu’à deux compagnies de tirailleurs, est intéressante à un double point de vue.

D’abord, elle fut la première construction militaire importante élevée en Tunisie pour le casernement proprement dit. Les janissaires turcs avaient surtout occupé les casbah et les bordjs, dont ils assuraient ainsi la garde en tout temps contre une population souvent hostile. Il pouvait en être autrement pour une armée nationale dont l’effectif devait atteindre en quelques années le chiffre de dix mille hommes. La caserne d’Artillerie dont il vient d’être question ne fut construite qu’en 1255 (1839), quatre ans après celle du 1er Tunisien, et le quartier de la Manouba, qui ne porte d’ailleurs aucune date, ne fut créé, comme la caserne d’Artillerie, que par Ahmed-Bey.

La caserne Saussier présente en outre un véritable intérêt artistiques. Lorsqu’on franchit la grille, de construction récente, qui, à l’entrée, enveloppe un petit jardin et une cour sur laquelle s’ouvrent le poste de police et la salle des rapports, on se trouve en face d’une grande porte arabe couronnée d’un fronton triangulaire et surmontée d’une plaque de marbre blanc portant une inscription arabe dont, suivant l’usage, les caractères sont formés de lames de plomb incrustées dans la pierre, et qui nous fait connaitre, dans les termes suivants, l’époque de la construction de la caserne:

« Au nom du Dieu clément et miséricordieux!

(que le salut et la bénédiction soient sur notre seigneur Mahomed!).

«Cette caserne, unique dans son genre, supérieure par sa construction au palais d’Ezzahra (Andalousie), à l’Eden terrestre et au monument élevé à Bagdad par les Perses, fut fondée à Tunis, la reine des villes que Dieu a placées sur la terre, et en vue d’être destinée aux troupes guerrières, par le généreux des rois, l’éminent Hussein ben Mahmoud-Bey.

« Cette œuvre fut interrompue par la mort de ce prince – combien d’ailleurs sont nombreux les obstacles créés par les circonstances – mais achevée par son frère, la gloire des souverains, dont les qualités sont uniques, le régénérateur des traces des traditions, l’illustre seigneur Moustapha, protégé de la Providence, et dont l’éloge remplit de parfums les bouches de ceux qui le prononcent. « Puisse Dieu veiller à la conservation de son œuvre et gratifier ses troupes d’une gloire éclatante! »”

Entrée de la caserne d’El Gorjani avec la plaque en marbre sur le fronton.

Sir Grenville Temple, nous apprends dans son livre Excursions, la méditerranée Algers et Tunis, que Hussein Bey II avait demandé à trois riches familles de la régence les Ben Ayed, les Djellouli et les Belhadj de prendre en charge les coûts de construction qui s’élevaient à 600.000 piastres pour la construction de cette caserne. Les matériaux nécessaires à la construction étaient fournis par le gouvernement beylicale. Outre une belle description de la caserne qui pouvait accueillir plus de 5000 hommes, l’auteur nous apprend qu’en creusant les fondations il a été découvert deux petits sarcophages. En effet avant la construction de cette caserne, les lieux abritaient l’ancienne mosquée du Sultan édifiée par les hafsides. Cette mosquée ou “musalla” était aussi appelée la mosquée des deux Aïds et permettait aux dirigeant hafsides du Moyen-Age de faire la prière en plein air.

Trois riches familles de la Régence avaient financés cet édifice : Les Ben Ayed, Les Djellouli, les Belhadj.

“En faisant la part des exagérations propres au style oriental, certainement cette inscription pompeuse n’est pas déplacée. On le reconnait lorsqu’on pénètre dans l’intérieur de la caserne.

Après avoir gravi la pente assez raide d’une sorte de rue de 25 mètres de longueur sur 6 mètres de largeur, bordée de constructions accessoires, et sur laquelle débouchent les passages conduisant, à droite, dans le patio des sous-officiers, et, a gauche, dans le jardin des officiers et la salle d’honneur, on rencontre une seconde porte arabe au-dessus de laquelle se lit l’inscription : « Un secours de Dieu, et la victoire est proche », et l’on pénètre dans un large passage voûté dont les parois verticales sont revêtues de vieilles faïences tunisiennes et dont la partie centrale, en voûte d’arête, repose sur quatre groupes de colonnes jumelées, et est revêtue de plâtres artistement fouillés dont les dessins sont rehaussés de couleurs vives.

Enfin on débouche dans la cour d’honneur, grand rectangle de 98 mètres de longueur sur 52 mètres de largeur, entourée d’une élégante véranda supportée par cent seize colonnes en pierre de Keddel et sur laquelle s’ouvrent cinquante huit chambres voutées et couvertes en terrasse, constituant le casernement proprement dit.

Cour intérieure de la caserne Huseinite.

Au centre de celle cour, entièrement dallée, s’élève une jolie fontaine en marbre blanc, formée de trois vasques superposées et recouverte d’une sorte de kiosque présentant sur chaque face une triple arcature mauresque, dont les douze colonnes ajoutées aux quatre autres qui s’élèvent dans l’intérieur supportent quatre petites coupoles el cinq voutes d’arête d’une extrême légèreté; les murs extérieurs sont couronnés de tuiles creuses vernissées, dont la couleur vertes harmonise avec le feuillage des muriers plantés aux quatre coins.

Fontaine de la cour intérieure de la caserne husseinites surmontée d’arcades.

Tout n’est pas a louer assurément dans les détails d’exécution de la caserne, mais elle présente dans son ensemble d’élégantes proportions, malheureusement gâtées, malgré le soin qu’on a pris de rappeler le style des intérieurs arabes, par l’étage dont l’extension des magasins a exigé la construction récente, au-dessus du bâtiment qui occupe tout le côté sud de la cour d’honneur.

De l’angle nord de la caserne un escalier de quarante-six marches conduit a une partie basse dans laquelle est installée une vaste cuisine, occupant un rectangle de 34 mètres sur 18 mètres dont la majeure partie est couverte par des voutes d’arête supportées par vingt-huit colonnes de pierre dure.

Deux cours attenant à cette cuisine avaient autrefois leur pourtour garni de cabinets d’aisances au nombre de soixante-huit installés, naturellement, « a la turque » sur un égout collecteur. Dans la première de ces cours se trouvent aujourd’hui le lavoir et la buanderie; dans la seconde ont été aménagés les locaux disciplinaires el les bains.

Entre ce groupement de constructions formant un étage inférieur, et l’entrée de la caserne, se trouve la cour des écuries, a laquelle on accède seulement par l’extérieur. Un passage voûté situé au milieu du côté sud-est de la cour d’honneur, en face de l’entrée principale, conduit dans une cour étroite, dont l’extrémité Est débouche dans un jardin de forme irrégulière, où sont installés le gymnase et la cantine.

L’alimentation en eau était assurée par une vaste citerne de deux mille cinq cents mètres cubes, aménagée sous le sol de l’angle nord de la grande cour, et alimentée par les eaux de toutes les terrasses.

Enfin, près de l’angle ouest de la caserne, a laquelle elle était soudée par la porte Bab-el-Gordjani, démolie il y a quelques années seulement, se trouve une annexe plus ancienne, qui, du temps de l’armée tunisienne, était affectée à l’infirmerie et renferme aujourd’hui les ateliers du corps.

La date de construction de cet accessoire nous est donnée par une plaque de marbre placée au-dessus de l’arc arabe de la porte d’entrée et portant une inscriplion en gros caractères el en langue tur-que, dont la traduction

« Au nom de Dieu clément et miséricordieux!

(que le salut el la bénédiction soient sur Mahomet !)

« Notre enceinte fut construite sous le règne du sultan Selim, par « l’ordre de Hamouda-Pacha, ce prince grand et généreux. Puisse « Dieu perpétuer sa gloire jusqu’à la résurrection! »

« An 1215 (1800). »

nous apprend que ces locaux voûtés ont été élevés en même temps que la deuxième enceinte de Tunis, construite, au commencement de ce siècle, par un ingénieur hollandais, nommé Hombert, pour envelopper les faubourgs considérables qui entouraient de toute part la ville proprement dite (el Medina); l’enceinte primitive est nettement tracée par cette sorte de boulevard circulaire que forment les rues Al-Djazira, des Maltais, Carthagène, Bab-Souika, Bab-Benat, Bab-Menara et l’avenue Bab-Djedid, et qui est encore jalonnée par la Porte-de-France, la place Bab-Souika, Bab-Menara et Bab-Djedid.”

Texte extrait de la Revue tunisienne année 1908.

Actuelle caserne occupée par la Brigade criminelle d’el Gorjani. On voit que la fontaine subsiste encore ainsi que certaines colonnades.
Kais Ben Ayed

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *