L’enfer de Djerba sous la seconde guerre mondiale

L’Histoire, ne l’oublions jamais, est faite par des êtres de chair et de sang, des femmes et des hommes qui ont fait des sacrifices parfois au détriment de leur propre vie, et auxquels nous pouvons nous identifier. Nous partageons avec vous deux documents inédits l’un en anglais l’autre en français. Ce sont des rapports issues des archives nationales américaines. Ils relatent l’enfer et les exactions quotidiennes auxquelles étaient confrontés les Djerbiens durant la seconde Guerre mondiale, entre vengeances personnelles, querelles politiques et le désir d’indépendance des Tunisiens.

Débarquement d’un véhicules militaire à Djerba en 1943.

List of Djerba Arabs emprisoned By The French held for the most part in the prison camp at Foun Tataouine.

The first two have since be freed. The two Djerbians mentionned in the above report furnished me with some of the real reasons for their imprisonment.

BEN AYAD, Caïd of Djerba arrested by the British on their arrival at the suggestion of the French. As nothing could be found with which to charge him by either the British or the French, he was released.

Notable de Djerba. 1943.

Naceur Ben Naceur, Cadi of Djerba, arrested by British on their arrival. When the Germans requisitionned his car, he went to the Controleur to ask permission to invite German Officers responsible for coffee, so he could persuade them to let him have his car back. The Controleur said: “I should do just that if i were in your place”. Released.

Habib Anane, Ali Anane, Bechir Ben Youssef, and Habib B. Melliti, all instructors, complained to the Controleur that they were receiving no lighting fluid for their lamps from the Director of the School. The Controleur ordered the Director to give it to them. When the British came, the Director took the opportunity of having them jailed as “pro-german”.

Mokhtar El Cadi, pro-french, greffier at the Tribunal of the Charaa, an ederly man, who contacted the Germans to find out why they searched his house during his absence. On being informed that they were looking for gas washed up by the sea,
he asked and obtained the permission to keep the two tins in his possession. Also received a letter from his son, Caid of Gafsa, through the Germans, due to the absence of postal service, this was the sole way to obtain news.

Ali Ben Amor Hamida and his brother (name unknown), Ben Amara, Amor Anane, Abdelmejid El Cadi, Tahar El Kouniali, Tahar Bettik, Amor Ben Hassine, all arested because they were Destourians, although several of them had already completed a one year sentence for this crime.

Abderahman Sebai is imprisoned for collaboration because he received a package from relative in Tunis sent by the Germans. The latter delivered it to the Controleur, who later asked him to call for it.

Hadj Mohamed Basrour, Belgacem Soula and Amor Doghri, my sources did not know why these were arrested.

Mohamed CAROUYA is an ignorant mechanic employed by the Germans in their post office.

Abdullah Abouz and Salah Saghidi are supposed to have been involved in the stealing of bicycle, and now, for some reason are included in the political prisoners.

Atman Louati worked for the Germans for 45 frans a day as a laborer.

Djelidi is twelve year old Boy a vagabond who sold eggs for 30 fr. for four, and was ill-advised enough to sell some to the Germans too. By these standards, most of the European population of Tunisia should be working in a desert concentration camp.

Milade El Methni was arrested because he was a friend of Caïd Ben Ayed.

Othaman and Amor Ben Omran, and Salah EL Hantous, notables of Midoun, who had never taken part in politics and had show their pro-fresh sentiments by lodging French functionaries and storing their goods during bombings, as well by numerous other acts. They were arrested and imprisoned solely because a gendarme a grudges against them, falsely beliveving them to be responsable for an accusation made against him.

Taieb Ben Achour, Cheikh of Midoun, is accused of collaboratopn because he furnished the Germans with food on the written request of the Chief of gendarmes.The real reason for his arrest is because refused to give M. Fabre, Receveur des Poste at Midoun, a stock of fliur without written request from the Controleur; in spite of Mr. Fabre’s insistence.

Mesaoud Bel Hadj, after the French authorities had ordered all weapons to be turned in, delivered his ancient gun, a heritage from the Tripolitanian War of 1913. He was imprisoned.

Confidential-Ben-Ayed-Prison_Camps-liste-prisonnier

Traduction en langue française du document ci-dessus:

Liste des Arabes de Djerba emprisonnés par les Français détenus pour la plupart au camp de prisonniers de Foun Tataouine.

Les deux premiers ont depuis été libérés. Les deux Djerbiens mentionnés dans le rapport ci-dessus m’ont fourni quelques-unes des vraies raisons de leur emprisonnement.

BEN AYAD, Caïd de Djerba arrêté par les Britanniques à leur arrivée à la suggestion des Français. Comme rien n’a pu être trouvé pour l’inculper ni par les Britanniques ni par les Français, il a été libéré.

Naceur Ben Naceur, cadi de Djerba, arrêté par les Britanniques à leur arrivée. Lorsque les Allemands ont réquisitionné sa voiture, il s’est rendu au Contrôleur pour demander la permission d’inviter des officiers allemands responsables à prendre le café, afin qu’il puisse les persuader de lui rendre sa voiture. Le Contrôleur a dit: «Je devrais faire cela si j’étais à ta place». Libéré.

Habib Anane, Ali Anane, Bechir Ben Youssef et Habib B. Melliti, tous instructeurs, se sont plaints au Contrôleur de ne recevoir aucun liquide d’éclairage pour leurs lampes de la part du directeur de l’école. Le Contrôleur a ordonné au Directeur de le leur donner. Lorsque les Britanniques sont arrivés, le directeur en a profité pour les faire emprisonner comme «pro-allemands».

Mokhtar El Cadi, pro-français, greffier au Tribunal du Charaa, un vieil homme, qui a contacté les Allemands pour savoir pourquoi ils ont fouillé sa maison pendant son absence. Ayant appris qu’ils cherchaient du gaz échoué par la mer, il demanda et obtint la permission de garder les deux boîtes en sa possession. A également reçu une lettre de son fils, Caïd de Gafsa, par l’intermédiaire des Allemands, en raison de l’absence de service postal, c’était le seul moyen d’obtenir des nouvelles.

Militaires dans un Menzel à Djerba. 1943.

Ali Ben Amor Hamida et son frère (nom inconnu), Ben Amara, Amor Anane, Abdelmejid El Cadi, Tahar El Kouniali, Tahar Bettik, Amor Ben Hassine, tous ont été interpellés parce qu’ils étaient des Destouriens, bien que plusieurs d’entre eux aient déjà terminé un an de peine pour ce crime.

Abderahman Sebai a été emprisonné pour collaboration car il a reçu un colis d’un parent à Tunis envoyé par les Allemands. Ce dernier l’a remis au Contrôleur, qui lui a ensuite demandé de le réclamer.

Hadj Mohamed Basrour, Belgacem Soula et Amor Doghri, mes sources ne savaient pas pourquoi ils avaient été arrêtés.

Mohamed CAROUYA est un mécanicien ignorant employé par les Allemands dans leur bureau de poste.

Abdullah Abouz et Salah Saghidi sont présumés impliqués dans le vol de bicyclette, et maintenant, pour une raison quelconque, ils font partie des prisonniers politiques.

Atman Louati a travaillé pour les Allemands pour45 francs par jour comme ouvriers.

Othaman et Amor Ben Omran, et Salah EL Hantous, notables de Midoun, qui n’avaient jamais pris part à la politique et avaient montré leurs sentiments pro-français en hébergeant des fonctionnaires français et en stockant leurs marchandises lors des bombardements, ainsi que par de nombreux autres actes. Ils ont été arrêtés et emprisonnés uniquement parce qu’un gendarme leur en voulait, les croyant faussement responsables d’une accusation portée contre lui.

Taieb Ben Achour, Cheikh de Midoun, est accusé de collaboration parce qu’il a fourni de la nourriture aux Allemands sur demande écrite du chef des gendarmes. La vraie raison de son arrestation est d’avoir refusé de donner à M. Fabre, Receveur des Poste à Midoun, un stock de farine sans demande écrite du contrôleur; malgré M. L’insistance de Fabre.

Mesaoud Bel Hadj, après que les autorités françaises eurent ordonné la restitution de toutes les armes, livra son ancien fusil, héritage de la guerre de Tripolitaine de 1913. Il fut emprisonné.

Rapport sur la situation générale de l’Ile de Djerba

D’après des renseignements précis qui nous sont parvenus de l’île de Djerba, la situation générale de la population de l’île est extrêmement critique. Depuis plus de sept mois les restrictions sont arrivées à l’extrême limite. Les autorités compétentes, refusant de ravitailler la population Tunisienne de l’île, ont depuis longtemps, opéré des perquisitions sévères dans les maisons et emporté toutes les céréales, pâtes, huiles, qu’elles y ont trouvées. Ces perquisitions sont faites par les gendarmes et les spahis et l’oudjak les accompagnant d’humiliations et d’actes sauvages contre les personnes qui en sont l’objet, satisfaisant leur
rancune, contentant leur esprit de vengeance.

Militaires dans un Menzel à Djerba. 1943.

Mais la plupart du temps ces agents de l’autorité, pour ne pas perquisitionner maison de telle ou telle personne, en exigent de grosses sommes d’argent. Les denrées alimentaires emportées, des sacs de sons perquisitionnées sont perquisitionnés sont destinées en principe à être repartis parmi toutes la population de l’île; mais, effectivement seuls les Européens, les fonctionnaires français, les Maltais, les Italiens, et naturalisés français bénéficient de la répartition de ces denrées. Ces agissements ont permis à la famine de sévir dans l’ile et la population Tunisienne évaluée maintenant à plus de 60.000 habitants grâce aux réfugiés venus du sud, est arrivée jusqu’à se nourrir d’herbe ce qui a semé plusieurs maladies très graves.

Cette situation qui est arrivée à son extrême limite, n’est nullement due aux circonstances de la guerre, mais à la mauvaise volonté des autorités compétentes, car, celle-ci avaient interdit aux gros commerçants Djerbiens et sfaxiens, ainsi qu’aux particuliers de faire venir de dehors des céréales des pâtes de l’huiles, enfin des denrées alimentaires nécessaires au ravitaillement de l’île. Pour des désaccord absolument personnelles entre certaines des autorités de l’île et certaines des autorités militaires des territoires du Sud, des marchands ont été empêchés d’aller de Zarzis, Ben Gerdane, Médenine vendre leurs céréales dans l’île. Tout cet état des choses a permis à certaines personnes d’importer clandestinement des denrées de Zarzis ou des autres régions du Sud, et à pousser les gens à les acheter à des prix exorbitants. A un certain moment le prix d’un demi-décalitre de blé s’est élevé à 500 francs, celui de l’orge à 350 Fr.

Depuis sept mois la fabrication du pain a été réservés exclusivement aux européens et naturalisés français qui l’achètent de 5 fr. tandis qu’il est interdit aux marchands de le vendre aux Tunisiens et à ceux-ci d’en acheter. Certaines personnes sont arrivés à acheter le pain 120 fr. le kilo. Alors qu’il n’existe aucune matière grasse autre que l’huile, le bureau de ravitaillement a fixé une demi-litre la quantité mensuelle par personnes, quantité donnée très irrégulièrement. Chaque Cheikhat est obligé d’apporter à tour de rôle aux autorités dix moutons par semaine qui sont tués et vendus à 50 fr le kilo exclusivement aux européens et naturalisés; n’ayant pas droit, les tunisiens sont obligés de l’acheter à 150 fr le kilo. au marché noir.

Pendant les jours de marché (lundi et jeudi) le marché aux légumes et aux fruits n’est d’abord accessible qu’aux Européens qui sont servis suivant leurs besoins, tandis que les Tunisiens, obligé à coup de poing, au moyen de bousculades, de se mettre à la file et se partager le restant s’il y en a. Il existe une fabrique de mauvais savon dans l’îl, cette matière est répartie par bons à la population. Tout Européen ou naturalisé à droit à 300 ou 400 grammes suivant les mois tandis que la Tunisien ne reçoit que 70 à 100 grammes. Cette quantité est absolument insuffisante et la malpropreté, le manque d’hygiène en, le manque de matières grasses, la maigre nourriture, le manque de viande, de légumes, de fruits, a permis aux maladies de se propager avec beaucoup de rapidité et de sévir dans toutes les parties de l’îles. En plus le fabricant de ce savon qui est, contrairement aux règlements, en même temps le commerçant détaillant, le vend à 25 fr le kilo. prix toléré par les autorités.

Le sucre est réparti parmi les colonies européennes et les naturalisés Français à raison de 500 grs. par mois pour les adultes 700 grs. pour les enfants. Le Tunisien ne reçoit que 50 grs par personnes et par mois. Quant aux légumes secs, sardines, thon, conserves de tomates, piment rouge, confiture, biscuit, chocolat, lait etc ils ne sont réservés qu’aux européens et aux naturalisés.


Le tabac est répartie à raison de un paquet par jour aux Européens fonctionnaires
et naturalisés. Les Tunisiens n’y ont pas droit ils sont obligés de l’acheter au
marché noir 100 frs. le paquet.


La répartition de tissus pour les Tunisiens est inexistantes.
Les gendarmes, les agents de police et les spahis de l’oudjak, certains fonctionnaires français, chez qui les idées racistes sont particulièrement développées, chez qui l’esprit de rancune de vengeance est poussé à l’extrême, abandonnés à leur propre autorité, sont en train de se conduire de la manière la plus odieuse envers la population musulmane. Des personnalités, des musulmans notables sont liés et insultés publiquement par les agents du gouvernement; dans leur amour propre de tunisiens et de musulmans, ne pouvant répondre, ils sont obligés de se taire devant l’impertinence des ces agents, qui sèment la haine des races dans la paisible population de l’île.


Depuis l’occupation de l’île par les alliées, un grand nombre de personnalités Musulmanes, de notables et de fonctionnaires tunisiens ont été à la suite de mouchardages d’Européens et d’Israelites, arrêtés et sans interrogatoires, malgré leurs demandes insistantes, ont été conduits à pied vers Tataouine où ils ont été internés ans un camp de concentration. Là aucune règle d’hygiène n’est respectée. Ils sont nourris d’une très mauvaise soupe et de pain noir payé par eux à raison de 70 frs. par jour. Certains ont été désignés par la direction du camp pour faire des travaux bien difficiles. Ainsi sous une chaleur torride, accablante, on est en train de les épuiser. Justement nous apprenons que le Cheikh de Midoun, un vieillard de 60 ans environs, Si Taieb Ben Achour, vient de succomber aux pénibles travaux.


En résumé la situation générale de l’île est alarmante, la vie devient impossible.
La population tunisienne opprimée, harcelée soit par les autorités, soit par certains fonctionnaires français à leur guise, attend une décision bienveillante de la part du gouvernement, décision qui puisse mettre fin à tous ces agissements contraires à tous les lois humanitaires.

Confidential-Ben-Ayed-Prison_Camps-Rapport

Militaires sur la côtes de Djerba. 1943.
Par Kais Ben Ayed

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