
الحمد الله و صلى الله علي سيدنا و مولانا محمد صلى الله عليه وسلم
حفظكم الله تعالى و رعاكم المكرم الأجل المرعي ولدنا حميدة بن عياد قايد جربة أكرمه الله تعالى السلام عليكم و رحمة الله و بعد بلغنا جوابك الذي اخبرتنا فيه بأن ابنك محمد أخبرك بأن ابننا العربي زروق اشتكي لنا بانه يسالك دراهم اذناه يخبرك بأن تخلصه في ما يسألك و عرفنا في جوابك بما وقع من الحاج مصطفى العشي مع ولدك احمد بانه عامله و اخذ خط بيده و انك لولا خوفك منا لم تعطه ماادعي به و ما اخبرتنا عن شقفه الذي قدم بجربة ووسقته بالملح وصرفت عليه مصاريف ازيد من الف ريال و تحاسبت مع اليهودي و كتب لك خط يده في دارهم و وجهته لتونس ليقبضوه و يدفعوه لدار الباشا و في تذاكر وان ولدن العربي قال واندفع حتي يقدم اليهودي الي اخر ما ذكرت كله علمنا به والجواب اننا احضرنا ولدنا العربي زروق و اطلعناه علي جوابك فوجدنا ان الذي ادعي به عليك بالعداله وان الذي دفع عليك لدار الباشا قال عنده تذاكر دار الباشا تحت يده و اما الذي ادعيت به انت ادعي بانه ليس عندك عليه حجة و طلبت منا اننا نأذنوك في القدوم لحضرتنا فها نحن اذنك فاقدم ولاكن هات البرانس و السفاسر و الشمالي في يدك دون سفاسر الهديّة و أقدم بها في يدك تمكث هنا مدّة و تحاسب مع ولدنا العربي زروق و ترجع علي خير ان شاء الله تعالى والسلام من الفقير إلى ربه حمودة باشا باي وفقه الله تعالي اواسط ربيع الثاني سنة ١٢٢٩ (1229)
Avril 1814.
Louange à Dieu, et que la prière de Dieu soit sur notre maître et seigneur Mohamed, que la paix soit sur lui.
Qu’Allah Très-Haut vous protège et vous garde, notre honorable et digne fils Hamida Ben Ayed, caïd de Djerba, qu’Allah vous honore.
As-salâm ‘alaykum wa rahmatullâh.
Après cela, nous avons reçu votre lettre dans laquelle vous nous informez que votre fils Mohamed vous a rapporté que notre fils Larbi Zarrouk s’est plaint de vous car il vous réclamait de l’argent. Nous l’avons autorisé de vous informer de nous régler ce que vous lui devait.
Dans votre réponse, vous nous avez également informés de ce qui s’est passé entre le hajj Mustafa Al Aschi et votre fils Ahmed, à savoir qu’il l’a embauché, qu’il a pris un engagement écrit de sa main, et que, si ce n’était par crainte de nous, vous ne lui auriez pas donné ce qu’il réclamait, et qu’une de ses embarcation était arrivée à Djerba, et que vous l’avez chargée de sel et expédiée, et pour laquelle vous avez dépensé plus de mille riyals. Ainsi que vous avez réglé les comptes avec le juif, et il vous a donné un engagement écrit, que vous avez envoyé à Tunis afin qu’il soit encaissé et remis à Dar El Bey.
Concernant les titres, notre fils Larbi a dit qu’il n’allait les régler qu’en présence du juif, et ainsi de suite tout ce que vous avez mentionné nous en avons pris connaissance.
En réponse, nous avons convoqué notre fils Larbi Zarrouk et lui avons montré votre lettre. Nous avons constaté que ce qu’il a réclamé de votre part était soutenable par la justice, et que ce qu’il a payé à Dar El Bey, il affirme qu’il en détient les reçus.
Quant à vos propres allégations, il dit qu’aucune preuve ne les confirme. Vous nous avez demandé la permission de venir en notre présence, nous vous l’accordons donc.
Venez, mais apportez avec vous les burnous, les safasirs (écharpes de laine), et le chémel (tissu de laine), dans vos mains, à l’exclusion des safasirs qui seront offerts en cadeau.
Venez avec cela en main, séjournez ici quelque temps, réglez vos comptes avec notre fils Larbi Zarrouk, puis retournez en paix si Dieu le veut.
Salutations de la part du serviteur de son Seigneur, Hamouda Pacha Bey, qu’Allah le guide.
Rédigé à la mi-Rabi‘ al-Thani, année 1229 de l’hégire (correspondant à avril 1814).
Personnes mentionnées:
Hamida Ben Ayed, caïd de Djerba.
Larbi Zarrouk, haut-dignitaire.
Hamouda Pacha, Bey de Tunis.
Mohamed et Ahmed Ben Ayed, fils du caïd Hamida
Hajj Mustapha Aschi
Un commerçant “juif”
Une lettre intéressante à plusieurs niveaux.
D’un point de vue historique, elle expose un litige entre un haut dignitaire beylical, Larbi Zarrouk et Hamida Ben Ayed qui apparaît d’après cette lettre comme homme d’État responsable et manifestant sa volonté de transparence, malgré la tension avec Larbi Zarrouk. La lettre en elle-même ne condamne pas le caïd Hamida Ben Ayed, mais elle montre plutôt que le litige est complexe et qu’il mériterait un traitement équitable en sa présence.
Le Bey mentionne avoir reçu et lu la réponse de Hamida Ben Ayed, dans laquelle ce dernier conteste la légitimité de la créance que lui réclame Larbi Zarrouk.
Toutefois, après avoir fait venir Larbi Zarrouk pour entendre sa version, le Bey constate que Zarrouk dispose de documents (“تذاكر”) déposés au Dar el-Bey, qui donnent du poids à sa demande.
On comprend que Ben Ayed affirme ne pas avoir de dette prouvée, et le Bey conclut en l’invitant comme il le souhaitait à venir à Tunis pour régler cette affaire.
Le Bey enfin signifie à son caïd de venir avec entre ses mains l’impôt en nature issue des produits tissés sur l’ile dont il est caïd, ce qui est une manière diplomatique mais ferme de lui rappeler ses obligations.
La lettre du Bey à Hamida Ben Ayed est une trace concrète des tensions qui pouvaient exister entre les élites régionales, et les hauts dignitaires, sur fond de bouleversements économiques et géopolitiques de l’époque.
Elle reflète les efforts du pouvoir beylical de maintenir son autorité, dans un contexte marqué par les ambitions secrètes et croissantes de Larbi Zarrouk, haut fonctionnaire encore éclipsé par le puissant Youssef Saheb Ettabaâ en 1814, et par les résistances locales incarnées notamment par le caïd Hamida Ben Ayed, allié du premier ministre. Ces tensions annoncent une crise majeure qui s’accentuera par la mort de Hammouda Pacha la même année, puis dans une lutte brutale pour le pouvoir l’assassinat du Saheb Ettabaâ par Zarrouk pour en prendre la place.
D’un autre point de vue, plus famillial et commercial la lettre met également en lumière :
l’implication directe de Mohamed et Ahmed, deux des fils de Hamida Ben Ayed, dans la gestion des affaires.
L’impôt en nature exigé à travers des produits tissés à Djerba, soulignant une valeur stratégique de l’île pour l’économie beylicale.
Cette impôt était destiné à l’usage privé du Bey et les cadeaux destinés aux membres de sa famille, à sa cour et les visiteurs étrangers.
