La principauté de Djerba.

Le traité de Tunis étendit à toute la chrétienté les privilèges commerciaux dont les républiques maritimes de l ‘ Italie jouissaient en Barbarie . Aussi le commerce fut – il très – actif avec cette contrée de l ‘ Europe , à la fin du XIe siècle et dans tout le cours du XIVe . Cependant il y eut quelques hostilités pour la possession de l ‘ ile de Djerba . Cette île , ayant secoué la domination des rois de Tunis , était devenue un repaire de pirates . L ‘ humeur aventureuse et inquiète de ces insulaires était connue depuis longtemps . Une légende populaire cherchait à l ‘ expliquer en leur donnant une origine infernale : on disait que leurs ancêtres étaient nés de l’accouplement impur des démons avec des femmes de Sicile.

En 1284 , Roger de Loria , amiral de Pierre , roi d ‘ Aragon et de Sicile , se trouvant en mer avec sa flotte , et n’ayant , pour le moment , rien de mieux à faire , proposa à ses officiers la conquête de l ‘ île de Djerba , en leur offrant la perspective d ‘ un grand butin . Comme en effet ce nid de pirates devait renfermer des richesses considérables , la proposition fut accueillie avec transport , et , le 12 septembre , les Siciliens arrivèrent à l’ile de Djerba . Roger de Loria fit aussitôt occuper le détroit par une de ses galères, pour prévenir la fuite des insulaires , ou arrêter les secours qui pourraient venir du continent . Il attaqua ensuite , avec son habileté et sa résolution ordinaires , et eut bon marché des Djerbiotes , dont quatre mille furent tués et plus de six mille pris. Le butin fut tel qu’on l’avait espéré ; les prisonniers furent transportés et vendus en Sicile. Roger laissa une bonne garnison dans l’ile et permit à ceux des habitants qui avaient échappé à la mort ou à la servitude d’y vivre sous ses lois ; car il considéra Djerba et l’île de Kerkena , dont il s’empara aussi , comme lui appartenant en propre . Le roi Pierre lui en assura , en effet , la possession , qui se transmit à ses descendants.

Statut de Roger de Lauria.

La conquête des îles de Djerba et de Kerkena ne brouilla pas , pour le moment , la Sicile avec Tunis ; car , l ‘ année suivante , c’est-à-dire en 1285 , le traité de 1270 étant expiré , les deux puissances en conclurent un nouveau pour vingt-cinq ans.

Roger de Loria , ayant ensuite quitté le service de la maison d’Aragon , pour passer à celui de la maison d’Anjou, fit l’hommage de son petit état africain au pape Boniface VIII , qui lui en donna l’investiture , et envers qui il s’engagea à une redevance annuelle de 50 onces d’or.

Roger de Loria eut pour successeur , dans la principauté de Djerba , son fils aîné , appelé Roger, comme lui . La population musulmane de l’île se composait alors de deux tribus , les Oulâd-Mestouna , qui souffraient impatiemment le joug des chrétiens, et les Oulâd-Moavia, qui se soumettaient sans peine à leur domination. A la mort du premier Roger , il y eut une révolte des Oulâd-Mestouna , mais elle fut promptement étouffée par des troupes que le roi de Naples avait fournies . Le second Roger mourut sans enfant , et eut pour successeur son frère Charles , âgé de quatorze ans . A l’avènement de celui-ci , il y eut encore une révolte des Oulâd-Mestouna ; mais elle eut le même sort que la première . Charles de Loria ne résida , du reste , jamais à Djerba ; Simon de Montelin , qui en était le gouverneur, administrait cette île pour lui . A sa mort , la principauté passa à son fils Roger. Les Oulâd-Mestouna se révoltèrent de nouveau . Cette fois les troupes nécessaires furent envoyées par le roi de Sicile , Frédéric d ‘ Aragon . James de Castellar , qui les commandait , obtint d’abord quelques avantages sur les Arabes ; mais la chance tourna bientôt contre lui , et il fut défait et tué . La famille Loria eut recours , dans sa détresse , au roi de Naples et au pape, seigneur suzerain de Djerba ; mais , ne les ayant pas trouvés disposés à la secourir, elle s’adressa de nouveau au roi de Sicile . Frédéric ne consentit à fournir des troupes qu’ à la condition que les frais de la guerre lui seraient remboursés . Roger le promit et lui engagea pour nantissement l’île de Kerkena et le château de Djerba.

Statut de Roger de Lauria à Barcelone.

Les Oulâd-Mestouna , après la déroute de Castellar , s’étaient emparés de toute l’île , hors le château , où ils tenaient la garnison bloquée. Les Oulâd-Moavia , chassés par eux , s’étaient vus contraints de passer sur le continent, à l’exception d’une fraction de leur tribu , appelée les Oulâd – Darkes , qui faisaient cause commune avec les insurgés . Les choses en étaient là , lorsque les troupes de Sicile arrivèrent , conduites par Pelegrin de Pati . Ce général , dès la première affaire , perdit deux mille cinq cents hommes , c ‘ est-à-dire presque tout son monde , et fut lui-même fait prisonnier. Il se racheta peu de jours après , moyennant une forte rançon , et alla s’enfermer dans le château.

Frédéric s’était engagé dans une mauvaise affaire, mais il était trop avancé pour reculer. Il ne pouvait abandonner aux Arabes les chrétiens qui restaient encore à Djerba . En conséquence , il envoya une troisième expédition , commandée par l’ amiral Raymond de Montaner. Ce nouveau général eut de grands succès . Les Oulâd-Mestouna , battus sur tous les points , furent å leur tour obligés de quitter l’ile , et les Oulâd-Moavia y rentrèrent . Mais , peu de temps après , les premiers y revinrent , avec des secours considérables fournis par le roi de Tunis , et la guerre recommença avec plus de fureur que jamais . Le roi de Sicile , toujours de plus en plus engagé dans cette interminable affaire de Djerba , vit qu’il devait faire un dernier effort . Il fit partir l’amiral Conrad Lanza avec de nouveaux renforts . Les Oulâd-Mestouna , traqués de toutes parts , et ne pouvant passer sur le continent , par suite des mesures qui furent prises pour les en empêcher , furent exterminés. On n’épargna que les femmes , les filles de tout âge et les enfants mâles au-dessous de douze ans . Mais la guerre continua avec le royaume de Tunis . Cependant , comme ce pays était alors déchiré par des dissensions intestines , elle se fit avec peu d’activité . Enfin, en 1313 , une révolution ayant conduit au trône l’Emir Abou – Yahia , ce prince , désirant se fortifier , contre ses ennemis , de l’appui des chrétiens , auxquels il tenait par sa mère , conclut avec Raymond de Montaner une trêve de quatorze ans ; et ce général consentit à ce qu’il prît à son service des troupes chrétiennes , qui le firent triompher de ses ennemis.

Yahia se montra peu reconnaissant de ce service , comme nous allons le voir . Les Siciliens , après l’extermination des Oulåd-Mestouna , qui leur assura quelques années de repos, se figurèrent que la rigueur impitoyable était le seul moyen de gouverner les Arabes . Ce système a des partisans de nos jours, ainsi nous ne devons pas être surpris qu’il en eût dans le XIVe siècle . Mais il résulta de cette erreur de logique , que les Oulâd – Moavia , fidèles jusqu’alors , commencèrent à désirer un autre ordre de choses ; et comme il arrive presque toujours que le pouvoir absolu, délégué à des subalternes, les corrompt , les officiers siciliens en usèrent pour satisfaire leur cupidité et une autre passion dont les suites sont souvent plus dangereuses . Les Djerbiotes , tyrannisés dans leurs personnes , leurs biens , et , ce qui est plus sensible , dans leur honneur d’époux et de pères, se révoltèrent enfin et se donnėrent au roi de Tunis , qui , à l’expiration de la trêve , les accepta pour sujets et leur envoya du secours . Il s’empara aussi de Kerkena , et il ne resta plus aux chrétiens que le château de Djerba , dont les Arabes formèrent le siège.

La Sicile expédia quelques troupes , sous le commandement de Raymond de Peralta . Cet officier les introduisit dans la place ; mais , comme on allait débarquer les munitions de guerre et de bouche , survint une flotte combinée de Naples et de Gênes , alors en guerre avec la Sicile . Cette flotte s’empara des transports et mit en fuite les galères de Sicile. Son commandant vendit aux Arabes les armes prises aux Siciliens , et s ‘ éloigna en leur laissant le soin de continuer le siège du château , dont ils finirent par s’emparer. Ceci eut lieu en 1335 . La garnison fut massacrée ou réduite en servitude , et le commandant , Pierre de Zaragoza , inhumainement lapidé avec son fils , tout jeune homme qui paya peut-être , par cette mort tragique , quelques plaisirs prématurés . Ce fut ainsi que prit fin la petite principauté chrétienne de l ‘ ile de Djerba , après cinquante et un ans d’ existence.

Les Djerbiotes ne restèrent pas longtemps soumis au roi de Tunis. Ils reprirent, avec leur indépendance , leurs habitudes de piraterie . En 1355 , le cheikh de cette île devint maître de Tripoli,

Extrait d’Exploration scientifique de l’Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842.

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